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Je ferai le tour du monde : la vie exaltante d’Alexandra Szacka, journaliste nomade



 

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La journaliste Alexandra Szacka sur le plateau l’émission «On va se le dire»

Photo : Pamplemousse média

Charles Rioux

Du désert aride de Kandahar à la jungle étouffante de Bolivie en passant par les eaux turquoise, mais troubles, du Timor oriental, Alexandra Szacka a passé sa vie dans ses valises. La journaliste, qui a longtemps été correspondante à l’étranger pour Radio-Canada, a récemment lancé son autobiographie, Je ferai le tour du , qui nous plonge dans son parcours de « passeuse de frontières ». 

Le voyage s’est présenté très tôt dans la vie d’Alexandra Szacka, et ce, d’abord de façon imposée. Née en 1953 à Varsovie, en , elle a vécu son premier déracinement à l’adolescence, forcée à suivre ses parents d’origine juive qui voulaient fuir un régime communiste piloté par l’URSS et de plus en plus antisémite. 

Renonçant à la citoyenneté polonaise, la famille est arrivée au Canada en 1960 et s’est établie à . En près de 35 ans de carrière, Alexandra Szacka a essayé toutes sortes de formats à la télévision, dans écrite et à la radio : reportages de longue haleine, magazines d’affaires publiques ou couverture de nouvelles quotidiennes. 

La journaliste a notamment travaillé pour les émissions Nord-Sud, Enjeux et Zone libre. Elle a aussi été envoyée spéciale de Radio-Canada en , ainsi que correspondante pour le diffuseur public en Russie et en Europe. 

En entrevue avec Radio-Canada, la journaliste, qui vit maintenant en Toscane, en , a parlé des voyages qui l’ont le plus marquée, des difficultés et des dilemmes de sa profession ainsi que de l’avenir des correspondants et correspondantes à l’étranger. Les propos ont été édités pour des fins de clarté et de concision.


Charles Rioux : Très tôt, vous avez dû développer un côté ingénieux et imaginer des subterfuges pour défier les autorités, par exemple lorsque vous êtes allée revoir votre amour de près de la frontière polonaise avec un titre de voyage d’apatride. D’où vous vient ce côté frondeur?

Alexandra Szacka : Mon chum rit encore de moi aujourd’hui, parce que quand on visite une ville, je ne veux jamais me satisfaire de ce que je vois. Je veux toujours aller au prochain point pour voir encore ce qui se passe là. J’ai une curiosité innée et la volonté d’arriver à découvrir ce que j’ai envie de découvrir.

C.R. : Votre ténacité vous a-t-elle déjà causé des ennuis? 

A.S. : Oui, surtout avec mes patrons, parce que parfois, je peux être achalante (rires). La détermination a ses bons côtés, mais ça peut tomber d’un bord comme de l’autre. À un moment donné, quand c’est impossible, c’est impossible, mais quand on me dit non, c’est un défi pour l’action. Je n’aime pas beaucoup qu’on me dise non.

C.R. : Quels sont les plus grands dilemmes auxquels vous avez été confrontée en tant que journaliste?

A.S. : Ce qui me vient à l’idée – et je suis très contente de la décision qu’on a prise –, c’est de ne pas avoir montré [à l’écran] une personne-ressource qui aurait pu être extraordinaire pour notre reportage. 

On était en Tchétchénie [peu après l’arrivée au pouvoir de Ramzan Kadyrov] avec une jeune femme tchétchène qui travaillait pour l’organisme Memorial et qui était parfaitement francophone. On aurait voulu l’interviewer, mais la directrice de l’organisme nous a dit : Elle va vous aider à trouver des familles à qui l’on a enlevé des gens, mais elle, je veux qu’elle reste anonyme, je ne veux pas que vous l’interviewiez.

Ça a été un gros déchirement, parce que l’entrevue avec la directrice de l’organisme s’est faite en russe, et ça passe moins bien à la télévision. On a finalement décidé de ne pas interviewer la personne-ressource, parce que ça pouvait la mettre en danger, et dans ce cas-ci, la directrice qui nous a accordé une entrevue savait de quoi elle parlait, parce qu’elle a été assassinée un an plus tard. 

« Quand on a à choisir entre la sécurité des personnes et la qualité du reportage, c’est un no-brainer (un choix évident). »

— Une citation de  Alexandra Szacka

On a souvent des dilemmes et souvent on a peu de temps pour décider, donc on a besoin que notre boussole intérieure, morale, éthique, soit bien ajustée.

De Kandahar à la place Tiananmen, en Chine, en passant par la Pologne et la jungle de Bolivie, Alexandra Szacka n’a reculé devant rien pour nous informer pendant ses 35 ans comme journaliste. Elle nous présente son livre, « Je ferai le tour du monde », dans lequel elle montre l’envers du décor des grands reportages qui nous fascinent à la télévision.

C.R. : Vous avez souvent travaillé dans des conditions dangereuses. Y a-t-il un moment où vous avez eu vraiment peur? 

A.S. : En Afghanistan, il y a eu des moments où j’ai eu peur, surtout lorsqu’on se promenait en province. Les gens avec qui l’on se déplaçait étaient très lourdement armés. Souvent, ils tiraient en l’air pour éloigner d’éventuels terroristes. 

Une fois, on se déplaçait d’une province à une autre en hélicoptère, un gros hélicoptère militaire. Le derrière était ouvert et il y avait un fusil mitrailleur qui y était installé, et il tirait sans arrêt pour prévenir des tirs antiaériens éventuels de talibans. Ce n’était pas très agréable. On a perdu des journalistes en Afghanistan. Il y a même eu des journalistes de Radio-Canada qui ont été blessés.

Toutefois, je n’ai pas vraiment été terrorisée. Souvent, on oublie le danger, parce qu’on étudie la situation et quand on y va, c’est que l’on considère qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui peuvent nous arriver. 

C.R. : Quel reportage avez-vous le plus regretté de ne pas avoir pu faire?

A.S. : C’est ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine. Quand je regarde mes collègues, qui le font d’ailleurs très bien à Radio-Canada, je me dis : Mon Dieu que je voudrais être là. L’histoire se passe là en ce moment, et pendant des années, on va être marqués par cette guerre.

Je suis la guerre avec énormément d’assiduité et je fais des collaborations avec Radio-Canada, mais je regrette de ne pas pouvoir faire ma valise et partir là-bas. 

C.R. : Selon vous, est-ce que l’âge d’or des correspondants et correspondantes à l’étranger est derrière nous?

A.S. : Je ne serais pas d’accord avec vous. C’est sûr qu’on a fermé des bureaux, certains un peu de force, et d’autres par nécessité, mais on a quand même couvert la guerre en Ukraine de façon assez exceptionnelle. On était là tout le temps.

Il y a aussi des contraintes géopolitiques. Par exemple, on a beaucoup de mal à faire fonctionner notre bureau en Chine. Radio-Canada voudrait y être, mais ça ne marche pas. Il y a de plus en plus de pays autoritaires. C’est de plus en plus difficile pour les journalistes de travailler.

Je pense toutefois que la volonté est là et qu’il y a encore de la place pour ceux qui veulent se lancer dans la couverture internationale, même si c’est plus difficile.

C.R. : L’équilibre mondial est-il plus ou moins inquiétant qu’avant, selon vous?

A.S. : Beaucoup plus inquiétant. Il y a des déséquilibres à plusieurs niveaux. Vous vous souvenez de l’expression à l’époque de la guerre froide, l’équilibre de la terreur? Cet équilibre est complètement rompu maintenant. 

On est loin des deux blocs, qui n’étaient pas faciles à vivre non plus, surtout pour les gens dans le bloc de l’Est, mais on savait à peu près où situer chaque pays. Les déséquilibres étaient plus prévisibles, les conflits aussi. 

Aujourd’hui, c’est le free-for-all, il y a des tensions de tous les côtés, entre la Chine, la Russie, les et l’Europe. Ce chantage à l’arme nucléaire de Poutine, mais aussi des Coréens du Nord et de l’Iran, qui est sur le point de se doter d’une arme nucléaire… Je pense qu’on vit dans un monde de plus en plus dangereux; c’est une véritable poudrière. 

Je ferai le tour du monde, d’Alexandra Szacka, est publié par les Éditions du . Le livre est en librairie dès maintenant. 

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