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En prenant publiquement, l’année 1942, le « parti pris des choses », Francis Ponge (1899-1988), on s’en souvient, prit fait et cause pour « le cageot », exalta « la cigarette » et fit l’apologie du « morceau de viande », y mêlant quelques natures moins mortes comme « la jeune mère » et « la crevette ». Il était donc normal que, prenant celui des hors-humains, son admirateur, l’écrivain et enseignant Jean-Christophe Bailly, désigne, dans son recueil Le Parti pris des animaux, quelques merveilles de nature et nous les fasse aimer.
Entrez alors ici chez les « blonds d’Aquitaine » – bœufs immergés au plein d’une placidité cosmique –, hirondelles zigzagantes, éléphants d’un bloc, singes vervets, colobe ou babouin. Chacun est croqué en quelques mots miraculeux au fil d’une série de textes sur l’être-animal, et non sur le bête concept d’animalité. Car ce qui intéresse Bailly n’est pas d’être un nouvel anecdotier, Saint-Saens ou Jules Renard, balançant le carnaval et l’historiette, mais de capter l’être-au-monde, tout nu, tout cru, de l’animal.
Alors que, pour lui, la cage constitue une aberration – « la cage est le contraire absolu du territoire non seulement parce qu’elle ne comporte aucune possibilité de fuite et d’évasion. Mais d’abord parce qu’elle interdit le libre passage de la visibilité à l’invisibilité, qui est comme la respiration même du vivant » –, il fait de l’existence animale une permanente stratégie de fuite et d’effacement, de « grande fugue disséminée », y voit avant tout la chance d’une surprise, l’homme se devant de prendre en compte la dimension insurrectionnelle inouïe de l’apparition animale. Evoquant tant le vol que la marche lente, le bond que le sommeil de ces maîtres silencieux, Jean-Christophe Bailly tente avec bonheur « l’esquisse d’une poétique de l’habitation animale de la Terre ».
Si les martyrs sont traditionnellement représentés avec l’outil de leur supplice, François d’Assise (1181-1226) a la chance, lui, stigmatisé et non martyr, d’être traditionnellement représenté avec son amicale fratrie zoologique, sa seconde descendance spirituelle. Et c’est le délicieux mérite de Frère loup et les autres animaux, l’ouvrage composé avec science par François Dupuigrenet-Desroussilles, de nous initier au bestiaire franciscain, qui n’est pas un tableau de chasse, mais un colloque sentimental et un échange amoureux : François implorant silence aux hirondelles à l’heure de prêcher (et étant entendu), épargnant la vie d’un agneau, devenant le tuteur d’un duo d’oisillons, pactisant avec un faucon, fraternisant avec une cigale, accompagnant son jeûne d’une suite d’abeilles et surtout se faisant entendre du célèbre loup carnassier de Gubbio. Chaque fois, un scénario identique se reproduit : face à la possible disjonction de l’harmonie universelle, à la probable mésentente entre animaux et hommes, François aplanit tout et rétablit le lien et l’échange, tempère une injustice.
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