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«Terrasses»: la vie sur un FIL

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Pour le comprendre, il faut y aller. Se glisser dans les corps de ces nombreux Français qui ont été affectés par la tuerie dite du Bataclan, le 13 novembre 2015, quand des terroristes ont tiré aveuglément, en plein Paris, sur des gens assis à des terrasses et à l’intérieur de la tristement célèbre salle de spectacle.

Avec le roman Terrasses, qui sera joué au Festival international de littérature (FIL) dans une mise en lecture de Denis Marleau et une scénographie de Stéphanie Jasmin, Laurent Gaudé est allé parmi ces chairs meurtries, mourantes ou survivantes, dans le coeur d’une mère qui y a perdu ses jumelles.

Il en résulte un roman choral, de voix enchevêtrées comme ces corps sur le plancher du Bataclan, dont le destin a été dicté par le seul hasard, celui des balles sifflant dans l’air. Que serait-il arrivé si les jumelles s’étaient rejointes à Barcelone plutôt qu’à Paris ? Que serait-il arrivé si cette mère n’avait pas senti le besoin d’aller danser après une dispute avec son conjoint ?

La tuerie de 2015 a fait 131 morts et quelque 350 blessés ; elle a été revendiquée par le groupe armé État islamique. Lorsque la pièce issue de Terrasses a été présentée à Paris au printemps, elle portait forcément une lourde charge émotionnelle. « Il y avait quelques survivants dans la salle », raconte Laurent Gaudé.

Les événements de novembre 2015, le Québec les a vécus de loin, sans subir la présence militaire, l’état d’urgence qui a perduré longtemps dans les rues de Paris. En reprenant la mise en scène à Montréal, Denis Marleau s’adresse donc à un nouveau public. Les Parisiens ont forcément développé à l’égard de la représentation des faits un « seuil de tolérance » plus élevé, reconnaît Laurent Gaudé.

Il y a dans Terrasses à la fois la légèreté de cette soirée d’automne jusque-là anormalement agréable, et l’horreur brute, la peur et la souffrance sous les balles. Mais à travers les voix de ses personnages, Laurent Gaudé semble vouloir envelopper les victimes dans un linceul de tendresse. Ici, c’est une amoureuse qui s’éteint en rêvant d’un dernier baiser ; là, c’est cette mère qui se laisse envahir par l’image de sa petite fille avant de s’effondrer sur la piste de danse.

Laurent Gaudé lui-même était dans un restaurant de couscous le soir des événements. Dans son roman, il a glissé le propriétaire de cet établissement, un Maghrébin qui mesure subitement le temps que ça prendra avant d’arriver à l’intégration après le choc et les divisions causés par un événement pareil. « On va en prendre pour 10 ans », dit-il.

Contrairement à Emmanuel Carrère, qui, dans son livre V13, relate le procès entourant les événements et s’approche au plus près des terroristes, Laurent Gaudé les a sciemment « réduits au silence ». « Je ne me sentais pas capable de me mettre dans leur peau », dit-il. Son roman est donc entièrement basé sur une perception subjective des personnages, loin du documentaire.

Parisien jusqu’à la moelle, il se réjouit que l’on puisse de nouveau observer la beauté de sa ville après ces années de traumatisme. Malgré son opposition initiale à la tenue des Jeux olympiques à Paris cet été, il apprécie le fait que « Paris soit redevenu une fête » pour ceux qui l’ont visité.

L’écrivain n’a pas songé à exercer son devoir de mémoire en écrivant ce texte. Mais en rendant ses personnages humains et aimants, en leur redonnant la vie et l’amour un instant, il fait acte de résistance et un pied de nez à la mort.

Terrasses

Texte de Laurent Gaudé. Mise en lecture de Denis Marleau. Vidéo et collaboration artistique : Stéphanie Jasmin. Présenté à l’Usine C les 18 et 19 septembre, dans le cadre du Festival international de littérature.

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Texte de Laurent Gaudé. Mise en lecture de Denis Marleau. Vidéo et collaboration artistique : Stéphanie Jasmin. Présenté à l’Usine C les 18 et 19 septembre Terrasses

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