Paru en premier sur (source): journal La Presse
Paul Serge Forest est probablement le médecin avec le plus d’humour et d’imagination en ville. Même si rien ne porte à le croire a priori en le rencontrant, tant l’auteur du grand succès Tout est ori – et du tout nouveau Porter le masque – incarne le calme et la réserve.
Publié à 1h01
Mis à jour à 9h00
« Je sais que mes livres sont complètement fous », lance-t-il en riant. Mais n’est-il pas lui-même un brin excentrique ? « Un excentrique intérieur, c’est sûr. »
Au fil de notre conversation, alors qu’on tente de comprendre comment lui sont venues toutes les idées loufoques qui traversent ce deuxième roman bourré d’humour, on comprend rapidement qu’on n’a pas affaire à un médecin comme les autres.
« C’était important pour moi que ça soit drôle. En fait, c’est important dans toute ma vie que je sois drôle. L’humour, c’est une de mes valeurs. Puis dans mon travail de médecin, je le pratique – un peu comme Thomas, dans le livre, qui tient à être drôle. »
PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE
Paul Serge Forest
Il en convient, Porter le masque est un roman qui contient « beaucoup, beaucoup de choses ». Mais c’est avant tout, insiste-t-il, l’histoire d’un couple, Thomas et Marguerite, qui essaie d’avoir un enfant. « Un projet auquel ils se livrent avec beaucoup de plaisir », dit-il avec un sourire, et qui est contrecarré par l’arrivée du mystérieux virus du Tennessee.
Comme lui, Thomas est médecin, et il se retrouve en confinement dans un motel reconverti en hôpital, où atterrissent les personnes atteintes par cette maladie qui les prive de toute forme d’expressivité en s’attaquant… à la ponctuation. Des histoires d’espionnage et de contrebande se mêlent à tout ça – et il y fait même un clin d’œil à son premier roman, Tout est ori, prix Robert-Cliche, qui avait remporté un grand succès à sa sortie, en 2021.
De la médecine à l’écriture
Près d’un an avant la publication de Tout est ori, lorsqu’il a appris que son manuscrit allait être publié, Paul Serge Forest était aux prises avec un autre virus qui monopolisait l’attention de toute la planète. « Je me suis trouvé une année à travailler dans un hôtel COVID, à réviser Tout est ori et à avoir tout plein de bonnes idées pour un prochain roman. »
Et cette créativité qui foisonnait, il devait l’utiliser au quotidien pour soigner, quand on ne savait encore strictement rien sur la COVID-19.
Mon but, dans le roman, c’était aussi de dégager une espèce de tendresse dans tout ça. Parce qu’il y a des bouts où ça parle beaucoup du soin. Et dans le soin, veux, veux pas, il y a une créativité et une tendresse aussi.
Paul Serge Forest
À l’opposé, Paul Serge Forest n’a pas cherché à ménager le système de santé actuel dans Porter le masque, cette bureaucratie pour laquelle il ressent ce qu’il appelle « un sain mépris ». L’écriture lui sert ainsi d’exutoire puisqu’elle lui permet de s’exprimer tout en s’amusant. Elle l’aide même, ajoute-t-il, à être un meilleur médecin – lui qui rêvait, plus jeune, d’être écrivain, au point d’étudier un an en littérature avant de changer de trajectoire.
« Au début, je vivais l’écriture et la médecine vraiment comme deux choses très séparées. Mais de plus en plus, à force d’écrire et de pratiquer la médecine, je me rends compte que c’est un peu la même chose. Être médecin, c’est avoir du monde dans mon bureau et il faut que je leur fasse raconter leur histoire d’une façon qui est intelligible pour moi, en tant que médecin et en tant qu’humain. Il faut faciliter les récits des autres et être sensible à ça, forcément – pas toujours pour guérir, mais pour soigner. »
« Quand on a des personnages, ajoute-t-il, il faut apprendre à les connaître et essayer tranquillement de les aider à raconter leur histoire. La sensibilité au récit est importante dans les deux. C’est la même volonté, des échanges très semblables. Autant être médecin m’aide à écrire, de l’autre côté, écrire m’aide vraiment à être un meilleur médecin. »
Si d’aventure vous croisez un médecin qui lorgne d’un peu trop près les livres de ses patients dans la salle d’attente, ou qui leur conseille des lectures, comme ça lui arrive parfois, il se peut fort bien que vous soyez tombé sur Paul Serge Forest – un pseudonyme qu’il a emprunté pour « protéger le caractère particulier de cette relation » avec ses patients, dit-il.
Mais attendez, il y a aussi une deuxième raison derrière ce choix, insiste-t-il pour nous dire alors qu’on était déjà passés à un autre sujet. « Il me semble que chaque fois qu’on peut avoir un pseudonyme dans la vie, on devrait en prendre un. Notre vrai nom, c’est trop plate ! », lance-t-il les yeux rieurs, avec cet humour qu’on reconnaît désormais comme étant le sien.

Porter le masque
VLB
536 pages