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De nouveaux classiques déjà largement enseignés

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Ne dépoussiérez pas vos vieux classiques trop vite. Oui, on fait encore lire Maria Chapdelaine, Le survenant ou Les belles-sœurs dans le cours de littérature québécoise au cégep, mais Anaïs Barbeau-Lavalette, Kev Lambert et Caroline Dawson ont trouvé une place de choix dans le corpus de bien des professeurs. Au grand plaisir des élèves…


Publié à 1h37

Mis à jour à 7h00

De toutes les œuvres qui dominent notre palmarès, La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette, est de loin la coqueluche des professeurs de littérature au cégep.

Annissa Laplante et -Claude Tremblay, qui enseignent toutes les deux au cégep de Sherbrooke, ont intégré le roman dans leur programme pour le « panorama de l’histoire du  » qu’il propose. « Ça nous permet de revoir toute l’histoire du Québec à travers un personnage, souligne Annissa Laplante. On peut parler du passé, mais avec un regard contemporain. »

Et elles ne sont pas les seules à penser ainsi parmi la dizaine de professeurs que nous avons sondés.

« Cette œuvre me permet d’aborder la Grande Noirceur, la Révolution tranquille, Refus global, l’histoire du féminisme au Québec et d’étudier les effets de la narration, les liens entre le réel et la fiction », renchérit de son côté Karine Blouin, professeure de littérature au cégep de Lanaudière à Terrebonne.

C’est une œuvre [La femme qui fuit] merveilleuse à étudier au cégep : elle est aimée et elle nous permet de développer la culture générale de nos étudiants.

Karine Blouin, professeure de littérature au cégep de Lanaudière à Terrebonne

Au cégep de Saint-Hyacinthe, Marie-Eve Dionne l’a enseignée plusieurs fois dans les dernières années – d’abord parce que ça a été un coup de cœur personnel, mais aussi parce que c’est « un primé, qu’on savait déjà important dans l’histoire littéraire du Québec ». Et qui permet non seulement de consolider les notions apprises par rapport à l’histoire du Québec, mais « aussi et surtout par rapport à l’évolution de la condition des femmes », à son avis.

« L’écriture d’Anaïs Barbeau-Lavalette est aussi un grand facteur d’appréciation, ajoute-t-elle. Les phrases courtes, toujours poétiques et percutantes, permettent une bonne compréhension. »

Enseigner les mêmes auteurs, mais pas les mêmes œuvres

Il y a aussi des œuvres qui dérangent, qui choquent, qui provoquent – et qui se retrouvent dans les lectures obligatoires de certains professeurs.

« Nous avons tous et toutes ce souci de faire découvrir la littérature, québécoise ou non, afin d’ouvrir des réflexions et des discussions intéressantes, importantes. Il peut arriver qu’on se trompe, qu’un titre plaise moins que ce qu’on aurait cru. Mais il n’y a rien de mieux que quand on comprend qu’on a fait un excellent choix et que les étudiants et étudiantes repartiront avec un souvenir de lecture qui les accompagnera longtemps », souligne Marie-Eve Dionne, du cégep de Saint-Hyacinthe.

En classe, elle fait lire des extraits de Putain, de , pour « l’aplomb qu’elle a eu d’aborder, de manière autofictionnelle, des enjeux qui allaient déranger et provoquer ». Elle a également dans ses lectures un extrait précis de Folle. « Le silence qui règne chaque fois, dans la classe, est spécial. C’est une écriture tellement maîtrisée qu’elle les percute instantanément, d’autant plus que les thèmes du suicide et de l’image corporelle les intéressent », indique-t-elle.

Marielle Giguère, elle, a choisi de faire lire Folle au complet à ses élèves du Collège de Maisonneuve, notamment parce qu’elle le trouve beaucoup plus abouti que Putain. « Putain, c’était la nouveauté de cette espèce de prose dans une forme de discours psychanalytique. Il y a quelque chose de plus racoleur dans le thème, dans la posture de l’escorte, par rapport à Folle. Mais en définitive, on se retrouve avec les mêmes thèmes – la marchandisation du corps de la femme, l’aliénation, le suicide, l’autodestruction. »

PHOTO FRANÇOIS ROY,

La professeure de littérature Marielle Giguère

C’est vraiment une œuvre [Folle] qui fait beaucoup réagir les étudiants. Et ce que j’aime, en classe, c’est qu’on discute […]. Je pense que c’est ça, l’idée des cours de littérature au cégep : de leur présenter des œuvres qui sont un peu plus difficiles. Et les réflexions sociales qu’on retrouve chez Nelly Arcan les font beaucoup réfléchir à la société de consommation, aux rapports hommes-femmes.

Marielle Giguère, professeure au Collège de Maisonneuve

Au cégep de Lanaudière, à Terrebonne, Éléonore Bernier-Hamel enseigne depuis quelques trimestres un autre roman qui suscite de vives réactions en classe. Plutôt que le roman de Kev Lambert Que notre joie demeure, dont les thèmes abordés ne rejoindraient pas autant les collégiens, à son avis, c’est Querelle de Roberval (2018) que la professeure a choisi.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kev Lambert

« Je fais lire de grands classiques comme Maria Chapdelaine, mais j’aime les amener un peu partout dans ce cours-là. Souvent, ils n’ont jamais lu d’œuvres québécoises, alors je trouve ça super intéressant de les amener du terroir profond à quelque chose d’hyper contemporain, avec des sujets qui repoussent l’hétéronormativité, comme dans Querelle de Roberval. C’est une œuvre fascinante, avec des personnages complexes, qui bouscule les idées reçues des étudiants. »

La professeure a même invité l’auteur-e en classe pour répondre aux questions des élèves sur le livre. Et quand l’un d’entre eux est revenu la voir pour la remercier de lui avoir fait découvrir son œuvre, après tout le succès que l’auteur-e a remporté pour Que notre joie demeure, elle a compris qu’elle avait atteint son objectif.

Littératures autochtone et migrante

C’est justement dans l’objectif précis que leurs élèves se sentent interpellés par leurs lectures qu’un grand nombre de professeurs ont intégré des titres des littératures autochtone et migrante dans leur corpus, ces dernières années.

Frédéric D’Anjou, qui enseigne au cégep Gérald-Godin dans l’ouest de l’île de , alterne entre les deux, d’un trimestre à l’autre, pour étudier des écrivains qui ont un point de vue « différent et d’actualité sur le Québec moderne ». Cet automne, c’est au tour de L’énigme du retour, de Dany Laferrière – un auteur qu’il fait souvent lire à ses élèves pour sa plume « absolument extraordinaire » –, et de Là où je me terre, de Caroline Dawson – un titre que bien des professeurs ont choisi de faire lire depuis sa publication.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dany Laferrière

« Laferrière a cet humour qui plaît beaucoup, note Marie-Eve Dionne, du cégep de Saint-Hyacinthe. J’ai déjà fait lire Pays sans chapeau au complet. [Les élèves] aiment être en contact avec d’autres cultures. Le voyage est souvent dans leurs valeurs. Se faire expliquer les enjeux en Haïti, mais aussi ceux de l’immigration, du déracinement, ça plaît à ceux et à celles qui viennent d’ici, et ça rejoint également ceux et celles qui sont dans la classe et qui ont vécu cette adaptation. »

Pour ces mêmes raisons, Caroline Dawson a la cote auprès des professeurs – et des cégépiens. « Tous ceux et celles qui l’ont lue ont vraiment adoré. Je dirais que cette œuvre-là, c’est une valeur sûre », estime Marie-Claude Tremblay.

Même son de cloche du côté d’Annissa Laplante, qui a même organisé au cégep de Sherbrooke des tables rondes et des ateliers de création autour du livre.

« Je pense qu’il y a des thèmes intéressants qui peuvent susciter une discussion non seulement sur l’immigration, mais aussi sur le féminisme, par exemple », insiste Christine Robinson, du cégep Édouard-Montpetit, à Longueuil, où Caroline Dawson a enseigné la sociologie. « Caroline Dawson donne la parole à des gens dont on ne parle pas habituellement. »

Son collègue au cégep Édouard-Montpetit, Maxime Lecompte, abonde dans le même sens.

On a de plus en plus d’étudiants qui sont eux-mêmes issus de l’immigration ou qui ont des parents issus de l’immigration, et il y en a qui sont venus voir pour me dire de garder ce livre [Là où je me terre] au corpus. Il y en a qui m’ont dit : “Je ne m’étais jamais reconnu dans une autre œuvre qu’on m’avait obligé à lire. J’ai l’impression qu’elle parle de ma vie.”

Maxime Lecompte, professeur au cégep Édouard-Montpetit

Au Collège de Maisonneuve, Marielle Giguère a choisi pour sa part Mille secrets mille dangers, d’Alain Farah, pour sa façon d’aborder avec humour le conflit intérieur entre la culture d’origine et la culture d’accueil. Quant à Marie-Eve Dionne, elle fait lire au cégep de Saint-Hyacinthe la première page de Ru, de Kim Thúy, que certains professeurs évitent de mettre au programme étant donné qu’il revient souvent dans les œuvres québécoises contemporaines les plus lues au secondaire, avec Kukum, de , et L’orangeraie, de Larry Tremblay.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Farah

De plus en plus d’œuvres d’auteurs autochtones se retrouvent également entre les mains des cégépiens, dont Kuessipan, de Naomi Fontaine. Et elles leur plaisent parce qu’elles réussissent à défaire les images stéréotypées de certains élèves par rapport à la culture et la littérature autochtones. « C’est complètement en dehors de leurs attentes ! », souligne Marie-Claude Tremblay, qui alterne entre les trois titres de l’ innue.

« Mon critère premier, pour choisir une œuvre, c’est que je dois l’avoir aimée, ajoute la professeure. On a tous des goûts différents, donc c’est important que je sois capable de faire partager mon intérêt et de faire voir la valeur de cette œuvre. Ils ont droit de ne pas aimer lire, mais à la formation générale, il faut avoir cette vision de comment je vais réussir à leur faire aimer un livre, même si l’intérêt n’est peut-être pas là. »

Car le but, rappelle de son côté Éléonore Bernier-Hamel, reste quand même de les amener à devenir éventuellement des lecteurs ; ou, du moins, à poursuivre leur lecture et à développer, qui sait, un intérêt particulier pour la littérature québécoise.

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