Image

Enseigner la poésie, au secondaire, avec Instagram et les cellulaires…

Le Devoir Lire

Ce sont 90 % des jeunes Canadiens 12 à 17 ans qui sont sur les médias sociaux. Sur TikTok d’abord, de loin le plus populaire. Puis sur Snapchat, ensuite sur Instagram. Comment enseigner la littérature à cette génération hyperconnectée, autodomptée à faire défiler du contenu ? Et pourquoi, alors, ne pas utiliser directement Instagram pour approcher la au secondaire ? C’est la question que s’est posée Amélie Lemieux, professeure et chercheuse en didactique de français à l’Université de … et qu’elle a testée, avec des écoles.

« Est-ce qu’utiliser en classe un langage que les jeunes connaissent, et des plateformes par lesquelles ils vivent, interagissent et avec lesquelles ils reproduisent leurs [interactions] humaines, permettrait de les ramener à des choses essentielles, dont le plaisir de lire ? »

C’est à partir de cette interrogation qu’Amélie Lemieux a monté, avec son équipe de recherche, une étude sur le terrain. Quatre écoles secondaires, anglophones et francophones, à Laval, Montréal, Edmonton et Brisbane (), se sont engagées dans ce projet de recherche-action pour déterminer si les médias sociaux peuvent être des alliés dans les cours.

L’enseignement traditionnel de la poésie au secondaire reste assez aride, rappelle Amélie Lemieux. « Souvent, on apprend des alexandrins, on analyse, on récite. » Une approche, selon la professeure, fort éloignée « de la vocation de la poésie telle qu’elle est vécue par les adultes qui la lisent, quand on va en librairie pour voir ce qu’un recueil va nous faire ressentir. C’est pour vibrer… », poursuit la chercheuse.

Pourrait-on, donc, faire d’abord vibrer les jeunes ? La stratégie de l’étude Teaching poetry using Instagram: An international, interdisciplinary study with adolescents mobilizing literacy and the arts a été de passer par le visuel ; et par le cellulaire, que les élèves aiment, et maîtrisent.

À Montréal, des élèves ont effectué, par exemple, des visites virtuelles du Musée des beaux-arts de Montréal — l’étude a été menée pendant le confinement de la pandémie qui ne permettait pas une « vraie visite », et les arts visuels, par leur nature, se défendent merveilleusement bien dans le numérique.

Avec leur professeur, les étudiants approchaient les œuvres, puis les utilisaient pour parler de symbolique des images, de composition, ou pour évaluer les effets qu’elles provoquaient chez eux et expérimenter l’appréciation esthétique.

Cette « grammaire de l’image » a servi ensuite à l’écriture de leurs propres poèmes, aussi inspirée par les œuvres visuelles observées. Le lien, explique Amélie Lemieux, s’est fait de l’analyse des images vers les figures de style et le langage imagé qu’appelle la poésie.

« Le visionnement de toiles ou de photographies peut créer une réaction affective, esthétique, cognitive chez celui qui les regarde », rappelle la professeure. La poésie crée les mêmes réactions, pour qui sait comment la lire. « L’idée, c’était de faire ces trajets avec eux. » À partir de leurs réactions aux œuvres visuelles, les élèves avaient pour mission de composer des poèmes.

Ils ont également été nourris des œuvres des poètes innues et , ainsi que des textes de , autour d’une sélection de thèmes qui leur sont chers, comme la justice sociale et l’identité.

Les écrits, pour les étudiants qui le voulaient et avec le consentement des parents, ont été partagés sur le compte Instagram @insta_poetik.

« On a désactivé les commentaires pour qu’il n’y ait pas de cyberharcèlement. On a permis à la communauté plus large de voir et de lire les créations des étudiants », précise Mme Lemieux. « Ce qui était intéressant avec Instagram, c’est qu’il existait déjà le mouvement Instapoésie » et toute une communauté intéressée, qu’il suffisait de joindre.

Des cellulaires bienvenus en classe ?

Il y a actuellement « une dichotomie entre ce que les jeunes font, et ce que nous, les profs, on fait et on leur fait faire », estime Amélie Lemieux. « Tout le monde a ce besoin de l’âme de se sentir connecté. »

Mais si les réseaux sociaux peuvent donner cette impression, ils augmentent aussi notre sentiment d’isolement, et changent nos rapports humains, comme le démontrent plusieurs études.

« C’est une réalité avec laquelle il faut composer, désormais, dans la salle de classe », enchaîne la spécialiste. « Maintenant, c’est comme si tout le monde était sur “overdrive” tout le temps. Il faut qu’on ramène les choses à l’essentiel, qu’on se ramène à l’essentiel, à ce qui compte. »

Amélie Lemieux croit qu’on peut le faire en utilisant, autrement, les cellulaires et les réseaux sociaux. « Quelle hypocrisie, quand on interdit les cellulaires aux jeunes ! » s’emporte un instant la professeure.

« On a fait naître ces enfants-là. On a créé ces technologies-là. On n’est pas nous-mêmes un bon exemple d’utilisation saine des téléphones et des réseaux sociaux. C’est à nous d’élever ces jeunes dans un monde qui appelle à l’ouverture à l’autre. Et on peut passer par leur réalité et leurs outils de communication pour essayer de les amener vers d’autres univers : la culture, les beaux-arts, la , la littérature autochtone, la poésie… »

L’étude, Amélie Lemieux la voit vraiment « comme un guide pour ceux qui veulent aller vers cette avenue-là. Ce n’est pas une prescription — il y a d’autres choses qui fonctionnent ».

La recherche conclut que les professeurs ont noté une joie d’apprendre chez les étudiants. Ceux-ci étaient heureux de pouvoir choisir eux-mêmes les œuvres desquelles ils s’inspiraient pour écrire ; cette diversité a provoqué de riches discussions dans les groupes. L’utilisation d’Instagram a également tissé un lien naturel entre les pratiques littéraires que les jeunes peuvent développer à l’école et celles du « monde extérieur. »

Un exemple à tester avec d’autres matières ?

À voir en vidéo

[...] continuer la lecture sur Le Devoir.

Palmarès des livres au Québec