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J’emporterai le feu | « Comment on fait pour trouver sa place dans le monde ? »

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Dans J’emporterai le , titre ultime de sa trilogie Le pays des autres, Leïla Slimani raconte en parallèle à l’histoire récente du celle de la famille Belhaj. Nous avons joint en l’écrivaine -marocaine, pour Chanson douce, afin de discuter de ce roman éblouissant qui parle de l’identité dans toute sa complexité.


Publié à 11 h 00

La question de l’appartenance est au cœur de votre roman : à travers les personnages de Mathilde, la matriarche qui a quitté très jeune son Alsace natale pour fonder une famille au Maroc ; de son fils Selim, qui s’est établi aux États-Unis ; et en particulier de ses petites- Mia et de sa sœur Inès, qui vont étudier en France. Que signifie appartenir pour ces enfants d’anciens pays coloniaux qui, comme vous l’écrivez, ont été préparés à vivre dans « le pays des autres » ?

Je crois que c’est une aventure, un chemin. Les écrivains ne sont pas là pour donner des réponses. Le livre – et toute la trilogie – est polyphonique. Chacun trouve une réponse qui lui est propre. Au fond, je voulais à la fois raconter une époque, la deuxième moitié du XXsiècle, entre le Maroc et la France, mais poser aussi des questions qui peuvent être finalement universelles : comment on fait pour trouver sa place dans le  ? Comment on fait pour rester soi tout en étant avec les autres ? Pour ne pas se perdre, pour continuer à être malgré tout soi-même quand on change de milieu, tout en ayant envie d’embrasser le changement ? Je pense que chacun fait comme il peut avec ce qu’il est, avec les obstacles qui sont mis sur son chemin.

Justement, le personnage de Mia se demande, à son arrivée à Paris (où elle s’installe pour poursuivre ses études), si le prix de l’intégration est réellement la perte d’une certaine intégrité…

Toute personne qui a immigré se pose cette question à un moment : comment je fais, maintenant, pour vivre avec le fait que je vais changer ? Changer de façon de parler, de façon de m’habiller, d’amis, parfois de langue… Ce changement peut se faire de manière brutale, mais il peut se faire aussi dans le temps. Même le personnage de Mathilde [la grand-mère de Mia] se rend compte au bout d’un moment que le Maroc est devenu son pays. Je pense qu’on n’est pas tous à égalité devant la capacité à rester intègre. Dans le livre, les personnages féminins sont peut-être plus forts pour réussir à préserver leur être profond, alors que les hommes sont plus fragiles, plus dépendants du regard des autres, de leur statut social.

Lorsque Mia part travailler à Londres, elle réalise pourtant que ce n’est pas nécessaire d’appartenir pour y être heureux. Pourquoi est-ce que c’est différent en France ?

D’abord, parce qu’elle n’a pas la même relation avec la France qu’avec l’Angleterre. La France, c’est aussi son pays ; elle est moitié française et elle se sent dans une situation très compliquée. C’est son pays, mais en même temps, c’est un pays où elle n’a jamais vécu. Elle parle la langue, elle connaît les codes, elle pensait pouvoir trouver sa place de manière tout à fait naturelle, mais elle a un sentiment d’étrangeté. Et puis dans le regard des autres, elle est une Arabe, elle vient de ce monde colonial avec lequel la France a des relations très fortes. Londres est une ville anglo-saxonne où tu viens, tu fais ta vie, tu gagnes ton argent et tu n’es pas obligé d’appartenir ; si tu veux continuer à parler ta langue, t’habiller comme chez toi, vivre en communauté, eh bien, tu le fais. On ne te demande pas de devenir un bon Anglais, on te demande de travailler, de respecter les lois et c’est tout. Et il n’y a pas ce lien presque incestueux qui peut exister entre la France et le Maroc.

Pensez-vous qu’il y a un pays en Occident qui réussit mieux que les autres à accueillir les nouveaux arrivants ?

Je ne pense pas que ce soit une question de pays, je pense que c’est une question d’époque. Il y a des époques où les États-Unis, par exemple, ont réussi à être un grand pays d’immigration qui offrait la possibilité à des gens qui venaient de pays dans la misère de fonder des familles, de permettre à leurs enfants de connaître une élévation sociale. Ç’a été aussi le cas du , de la France… Beaucoup de pays ont réussi pendant certaines époques. Peut-être que nous allons réussir dans les années ou les décennies qui viennent à retrouver la façon d’accueillir, de faire en sorte que les gens puissent à nouveau se réinventer et vivre dignement dans un pays d’accueil.

À noter que les trois titres de la trilogie Le pays des autres peuvent se lire de façon tout à fait indépendante.

J'emporterai le feu

J’emporterai le feu

Leïla Slimani

Gallimard

429 pages

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