Paru en premier sur (source): journal La Presse
Le drame de Prophet Song (Le chant du prophète, en version française) se déroule certes en République d’Irlande, mais les mécanismes à l’œuvre dans cette fiction pourraient menacer à tout instant d’engloutir n’importe quelle autre démocratie, surtout par les temps qui courent.
Publié à 11 h 00
Le contexte s’avère simple : peu à peu, le pays au trèfle s’enlise dans un régime totalitaire, franchissant un à un les degrés de violence. Cette mutation est racontée du point de vue d’Eilish Stack, une mère de famille dublinoise dont le mari syndicaliste est arrêté par la police secrète nationale. Tandis que le brouillard s’épaissit et que les libertés se réduisent à une peau de chagrin, Eilish se trouve minée de l’intérieur par le sort de ses quatre enfants, dont l’un s’engagera dans un mouvement de résistance. Face à la guerre civile, faut-il tout quitter ou espérer ?
Ce récit haletant, sombre et sans concessions, réussit le paradoxe de confronter l’humanité profonde de la protagoniste avec les pratiques étatiques les plus immondes. L’outil de torture le plus insupportable manipulé par le régime : le silence, où s’abîment les destins brisés, tandis que les familles continuent d’entretenir une vacillante lueur d’espoir. Paul Lynch, qui ne nomme jamais ce gouvernement monstrueux ni ses dirigeants, laisse entrevoir sa terrible impersonnalité à travers ses agents à l’allure conventionnelle. Il signe ainsi une parfaite illustration littéraire de la « banalité du mal » évoquée par la philosophe Hannah Arendt. Il a ainsi remporté sans surprise le prix Booker (meilleure fiction en langue anglaise) en 2023.
