Lauren Groff, la voix de la résistance littéraire

L’écrivaine américaine Lauren Groff sera de passage au Salon international du livre de Québec, qui se tient au Centre des congrès du 9 au 13 avril. Autrice primée et acclamée par la critique, connue notamment pour Florida (Floride), Arcadia et Fates and Furies (Les Furies) – désigné par Barack Obama comme son roman préféré de 2015 –, Lauren Groff est une figure de proue dans la lutte contre le bannissement des livres.

Nous resterons ouvert quoi qu’il arrive!, lance Lauren Groff, jointe à Gainesville, en Floride, où la francophile vit et possède The Lynx, une librairie qu’elle a ouverte l’an dernier avec son conjoint Clay Kallman.

Si ça veut dire que je dois me faire arrêter parce que je vends des livres qui sont bannis par l’État de la Floride, alors qu’il en soit ainsi, poursuit-elle.

Parce que Lauren Groff a une mission avec cette librairie, rendre disponibles les livres bannis dans les bibliothèques et les écoles aux États-Unis.

Si elle évoque la possibilité d’être emprisonnée, c’est, dit-elle, parce qu’il y a des projets de loi qui sont en cours d’adoption à la Chambre et au Sénat de Floride qui rendraient presque impossible la vente de livres à des mineurs. On aime les enfants et on pense que les enfants doivent lire des livres, et donc nous vendrons des livres aux mineurs, affirme l’autrice et libraire.

L’organisme PEN America, qui défend la liberté d’expression aux États-Unis depuis une centaine d’années, dénombre 16 000 interdictions de livres dans les écoles publiques à travers le pays depuis 2021. De ce nombre, on retrouve près de 4500 livres qui ont été interdits dans les écoles de la Floride durant l’année scolaire 2023-2024 seulement, un chiffre record qui place la Floride au sommet des États qui indexent des livres.

Bien entendu, la grande majorité des livres bannis, surtout en Floride, traitent de thèmes LGBTQI, ou bien ils sont écrits par, et sur, des personnes noires, autochtones, latines ou asiatiques.

Parmi ceux-ci on retrouve The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) de Margaret Atwood, The Kite Runner (Les Cerfs-volants de Kaboul) de Khaled Hosseini, All Boys Aren’t Blue (Le bleu ne va pas à tous les garçons) de George M. Johnson, The Bluest Eye (L’Œil le plus bleu) de Toni Morrison et Fates and Furies (Les Furies) de Lauren Groff.

La raison invoquée pour interdire son livre dans les bibliothèques est la sexualité qui s’y retrouve. Mais l’encensement de son livre par Barack Obama, qui était président à l’époque, y est pour quelque chose, pense-t-elle. Bien sûr, je pense que cela a joué un rôle dans l’interdiction de mon livre en Floride. 

The Lynx

L’idée d’une librairie engagée est née lors d’un séjour en Allemagne. On était à Berlin en 2023, l’année où une avalanche d’interdictions de livres a commencé à se produire aux États-Unis, et cela faisait les nouvelles partout dans le monde parce que c’était terrifiant, explique l’écrivaine. Des Allemands venaient vers nous et nous disaient qu’on devait faire quelque chose, poursuit-elle. Les Allemands rencontrés les mettaient en garde. Regardez ce qui nous est arrivé, lui a-t-on dit.

Il y a cette citation de l’Allemand Heinrich Heine qui dit : “Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes”.

Avec son mari, Lauren Groff a senti l’urgence de faire quelque chose. Ensemble, le 28 avril 2024, ils ont ouvert les portes de la librairie The Lynx à Gainesville, en Floride. On est choqués par ce qui se passe. […] On est au centre de l’ouragan, souligne celle que le magazine Time a nommé parmi les 100 personnes les plus influentes de 2024.

Nous ne pouvions pas prévoir l’ampleur et la rapidité du coup d’État autoritaire qui a eu lieu aux États-Unis au cours des derniers mois. […] Et c’est vraiment difficile de comprendre comment résister, comment agir. Alors nous faisons notre petite part en célébrant et en diffusant ces livres bannis.

Encore plus pernicieux, soutient l’écrivaine américaine, est le bannissement qui se fait en douce. Celui qui n’est pas visible. Ce qui s’est accéléré (depuis l’élection de Trump), c’est la peur dans ce pays et la peur d’être renvoyé ou d’être, d’une manière ou d’une autre, tenu responsable si vous avez, par hasard, un livre qui est jugé non conforme.

Lauren Groff aime Gainesville. C’est une ville remarquable, très punk rock. On a beaucoup d’anciens hippies qui vivent ici. On se sent très protégé par notre communauté, soutient-elle. Ce qui n’empêche pas des critiques négatives sur Google de la part d’individus qui n’ont jamais mis les pieds dans sa librairie. L’année dernière, il y avait des brochures chrétiennes qui ont été introduites dans des livres gais. Si c’est le pire qui peut arriver, ça me va. Ça nous a fait rire.

L’écrivaine s’amène au Québec avec son plus récent livre Les terres indomptées, traduit par Carine Chichereau et publié aux Éditions Alto.

Lauren Groff sera au Salon international du livre de Québec, le samedi 12 avril, à 16 h, pour un entretien avec Françoise Guénette. Le lendemain, elle participera à l’événement Off-Imagination au Morrin Centre.