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En matière d’enquêteurs, on peut distinguer les « scalpels » (Dupin, Holmes), grands dissecteurs qui ne laissent rien dans l’ombre, les « pêcheurs d’éponges » (Maigret, Marlowe, Burma), plongeurs de grands fonds, plus mystérieux encore que les ombres qu’ils scrutent, ou encore les « terrassiers », qui s’attaquent à un monceau de faits et que rien ne lasse ni n’épuise, les stakhanovistes de l’indice et les forçats de la traque. Relève de cette ultime catégorie l’inspecteur Frédéric Belot, héros mythique du romancier, poète, conteur, éditeur et résistant Claude Aveline (1901-1992), qui inaugura les cinq volumes éclatés de sa Suite policière (1932-1970) par sa mort (La Double Mort de Frédéric Belot, 1932), avant d’en faire la clé de voûte de l’épisode le plus fameux de cette pentalogie : L’Abonné de la ligne U (1947), titre qui ouvre, fort d’une couverture vintage de Félicité Landrivon, la collection « poche » des éditions Tusitala. Rien d’étonnant à cela : quand on est l’éditeur à la fois de Martin Mongin, de Peter Loughran ou de Larry Fondation, on milite pour un Claude Aveline chez qui la question formelle et la fureur du noir fusionnent à ravir. Paris, 1932, Etienne Tavernier, concessionnaire automobile, est révolvérisé à la descente d’un bus de la ligne U ; témoins phares de la scène, la jeune Mme Colet d’Avignon et son mari amorphe. Belot et elle s’emparent d’une affaire superbement compliquée, qui nous transbahutera, à dos d’autobus et de taxi, de la place des Ternes au Havre, et qui mobilisera les pointures du quai des Orfèvres et la grande presse. Un roman sous tension, où tout le monde parle en même temps, avec plan, lettres signées de « l’abonné » criminel, interrogatoires façon Guitry ou Melville selon que l’on cuisine un restaurateur barbu ou Tavernier frère. Mais ce qui domine, au fil de ce classique du roman policier français, c’est une écriture en noir et blanc, sèche, dansante et nervurée, qui donne en permanence l’impression de visionner Clouzot, Decoin ou Franju. La scène où la victime hagarde apparaît soudain, sanglante et en caleçon, chez Cercu, un asile de nuit du bas-Montrouge, appartient au patrimoine mondial de l’hallucination. Quoi de neuf ? Claude Aveline.
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