
Tout lire sur: Véronique Cloutier Livres
Source du texte: Lecture
L’amour au temps de l’entrepreneuriat (et du patriarcat)
«C’est pas toujours clair pour les gens que la romance, c’est plus que deux personnes qui se donnent des becs», lance en rigolant Jessyca David, autrice de la trilogie La note brisée. «C’est plutôt des histoires de croissance personnelle… des histoires d’amour de soi !» Attablée dans un café de Québec en face de sa partenaire d’affaires et amie Geneviève Simard, l’autrice en a long à dire sur ce qu’est (ou pas) le genre. «On entend souvent dire que ça ne sert à rien de lire ça. À mon avis, toute littérature populaire, comme le roman policier ou d’horreur, peut devenir une porte d’accès vers la littérature générale.» Geneviève, qui est bachelière en psychologie, renchérit sur le sujet avec passion: «C’est comme si on référait de façon négative à l’intellect des gens qui en lisent ! Pour nous, la romance est une façon accessible en termes d’énergie pour explorer des sujets importants. Ce n’est pas parce que tu peux la consommer rapidement qu’elle est vide ! Elle aide les gens à internaliser des pensées. Après avoir fini un roman, on peut se dire “J’ai été divertie, j’en ressors différente, j’ai compris des choses sur moi !”»
Ensemble, les deux amies ont fondé Les éditions Kairos, une maison qui publie des livres de ce qu’elles appellent la green romance. Ce concept, imaginé par Jessyca (lors d’un brainstorm dans un spa – comme quoi la créativité se manifeste partout !), s’inspire des green flags, ou drapeaux verts, ces signes positifs qu’on remarque chez une ou un partenaire potentiel quand on date. Avec Kairos, elles souhaitaient offrir une option différente de la dark romance, genre qui flirte avec la violence, la sexualité et les limites du moralement acceptable. «Je voulais passer des messages loin des personnages toxiques, amener de la romance autour du consentement, de la progression psychologique des protagonistes. Geneviève et moi, on veut ouvrir une discussion sur l’amour, non pas comme une marche à suivre, mais sur un cheminement commun.»
Jessyca David et Geneviève Simard, fondatrices des éditions Kairos.
«Quand on parle de modèles amoureux sains et positifs, ça arrive que les gens nous demandent si nos livres sont plates, rapporte Geneviève. Ben non, voyons ! Il y a une façon d’inclure des relations saines et belles dans des histoires enlevantes !» L’autrice d’Au cœur de nos tempêtes donne l’exemple de la série Netflix Nobody Wants This (en français, Problème de couple), avec Adam Brody, qui a fait rêver près de 16 millions de téléspectatrices (et sûrement quelques téléspectateurs, pourquoi pas !) dès la première semaine de diffusion, en octobre 2024. «Les personnages de romance ne sont pas parfaits, mais on les voit faire des efforts; c’est là que le roman devient complexe et hautement psychologique. C’est comme un gâteau avec un beau crémage, avec plein de fibres dedans. Tu le vois pas venir, pis il nourrit ton microbiote d’aplomb !»
En plus du plaisir (évident) que procure ce genre de lecture et de ses effets sur le plan du développement personnel, la romance peut jouer un troisième rôle, celui de traiter de sujets délicats dans un contexte plus léger, comme le mentionne Jessyca: «À l’ère de la réélection de Trump, des discussions sur les mâles alpha et le féminisme, c’est important qu’on parle de ces sujets-là afin d’avoir une meilleure conscience de qui on est, surtout comme femme.» Et Geneviève d’ajouter: «Dans les livres qu’on écrit et ceux qu’on édite, on trouve important d’avoir plusieurs trames, autrement il y a trop de poids sur la relation amoureuse. La vie est complexe et l’amour ne doit pas être la seule chose qui compte.»
On lit donc de la romance contemporaine pour s’y reconnaître ou s’y projeter, pour s’évader, pour s’imaginer un amour imparfait mais sain, à la hauteur de nos attentes et de nos désirs. Que le public soit majoritairement féminin n’étonne personne; on peut toutefois espérer que les hommes aussi finissent par se laisser séduire par le roman d’amour pour rêver de relations saines et, peut-être, apprendre à aimer mieux.