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Un extrait du Malenchantement de sainte Lucy
Tout a-t-il vraiment commencé avec la sale affaire dans laquelle s’était empêtré mon cousin ?
Peut-être que des signes avant-coureurs, des indices ténus mais probants m’avaient échappé. Cette femme élégante qui promenait des schnauzers jumeaux dans le parc Trinity Bellwoods et qui n’empêchait pas ses chiens de se lancer en travers de mon chemin — allait-elle même jusqu’à les encourager ? —, de sorte que je n’avais d’autre choix que de trébucher sur les laisses tendues ou de m’arrêter net. Ou cette fois dans le tramway de Queen Street, où cet homme d’âge indéterminé à côté de moi avait murmuré « J’ai besoin d’une sœur », son haleine parfumée à l’Ovaltine embrumant mon cou, son crâne rasé rayonnant comme une lune.
Se pouvait-il que cela remonte à la sixième année, époque où je portais le cilice et où j’avais vu (ou m’étais efforcée de voir) une fissure révélatrice dans le mur du dortoir du centre de retraite Mount St. Francis ? Elle ne formait pas une image aussi reconnaissable que le visage du Christ ou les larmes de la Vierge, mais on aurait pu y déceler une main dont l’index crochu faisait signe d’approcher. C’est au cours de cette même retraite catholique organisée par l’école que j’ai acquis la conviction que j’avais la trempe d’une comédienne — ou même d’une sainte —, vu ma capacité toute neuve à pleurer à volonté et à garder indéfiniment la pose lorsque nous reconstituions les tableaux bibliques du chemin de croix, alors que