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Proust d’outre-tombe et d’outre-Atlantique

Le Devoir Lire

C’est en 1907, reclus dans sa chambre, secoué d’asthme, allongé sur son lit, un an après la mort sa mère bien-aimée, que a donné naissance à son grand œuvre À la recherche du temps perdu. Quinze ans et sept tomes plus tard, le 18 novembre 1922, l’écrivain français mourait à 51 ans, épuisé, d’une bronchite mal soignée. En 1919, au milieu de la controverse, il avait reçu le pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs, le deuxième volume de La recherche.

Considéré par plusieurs comme le plus grand écrivain occidental du XXe siècle, Marcel Proust continue de vivre au , d’outre-tombe et d’outre-Atlantique. Sa description fine du snobisme de la société française du tournant du XXe siècle, et des passions humaines qui l’animent, garde sa pertinence aujourd’hui. Parmi ses grands lecteurs, l’avocat Bellemare organisait le week-end dernier à Québec une série d’événements consacrés à l’œuvre et au centenaire de la mort de Proust. Lui-même a reçu À la recherche du temps perdu en cadeau, « dans la version condensée de Gallimard, un livre de 2401 pages très fines de style missel. J’ai mis 10 ans à le lire. Je l’ai commencé en 2010 », dit l’avocat en entrevue. « Pour lire un roman aussi dense, avec un contenu aussi riche, cela prend de la concentration, pas de téléphone et pas trop de bruit autour », dit celui qui est par ailleurs père de cinq enfants.

En feuilletant les pages du chef-d’œuvre, l’avocat a « une révélation ». « Pour la qualité du français, la qualité de la , de la prose, la qualité des mots. L’écriture des émotions que Proust réussissait à traduire en prose, la passion amoureuse de Swann pour Odette, sa passion amoureuse pour Albertine qui traduit en fait sa passion amoureuse pour Albert, énumère-t-il. L’extrait que j’ai le plus aimé, c’est celui de La prisonnière, où Proust traduit dans des centaines de pages la jalousie qu’il éprouve et l’amour qu’il a pour Albertine. Est-ce qu’elle aime les femmes ? Est-ce qu’elle est fidèle ? Est-ce qu’elle m’aime vraiment ? »

La découverte de soi

L’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard est également un très grand admirateur de Proust. « Sa sensibilité, sa tragédie, d’un homme qui veut devenir un écrivain, qui n’y arrive pas tout de suite, qui tâtonne longtemps, et qui un jour est frappé par la grâce et trouve sa voie. Il va manquer de temps, il a une santé très fragile, et il s’engage dans une course effrénée pour la réussite de son œuvre, et il y laisse sa peau », dit-il en entrevue.

« Je l’ai lu dans la vingtaine avancée. Si on est un lecteur, on arrive à Proust à un moment donné », dit Lucien Bouchard.

La comédienne et dramaturge Sylvie Moreau a elle aussi fréquenté Proust relativement tôt dans sa vie. « , ça a été comme découvrir tout un rapport à la beauté, à l’art, mais surtout aussi à une vision de l’humain et de l’intimité humaine à laquelle je n’avais jamais eu accès, avec une intelligence du regard, ce témoin des humains », explique-t-elle.

En 2017, elle a créé la pièce Dans la tête de Proust, dont elle a proposé une mise en lecture la semaine dernière à Québec. « C’est vraiment un collage pastiche », dit-elle, ajoutant qu’elle a conçu cette pièce, dans laquelle elle convoque les personnages « les plus flamboyants » de l’œuvre de Proust, un peu « comme un guide de Proust » pour « démystifier la littérature proustienne ». « On fait toujours une grosse montagne » autour de la lecture de Proust, dit-elle, « mais c’est surtout une approche différente de la lecture et de la littérature ».

Libraire chez Pantoute, à Québec, Christian Vachon, 61 ans, ne s’est mis que récemment à la lecture de Proust.

« Cela fait plusieurs années que je voulais me lancer dans À la recherche du temps perdu. Je m’y suis mis il y a quelques mois, en lisant quelques pages par soir. Je voyais cela comme escalader une montagne. Quand tu arrives au sommet, tu es tellement heureux. » En cours d’escalade, on découvre tout un monde, le pouvoir de la , celui de l’art sur la mort, et la fuite du temps, racontent les initiés. M. Vachon a aussi eu le plaisir de discuter de cette lecture avec les clients de la librairie.

L’épreuve du temps

« Sa lecture m’a permis de réaliser l’importance du passé », poursuit Marc Bellemare. On connaît bien sûr la description de la madeleine de Proust, ces petits gâteaux dont l’odeur et la texture ramènent brusquement l’auteur au cœur de l’enfance. « Ce que Proust nous apprend, c’est que le passé et le présent sont un peu confondus », dit l’avocat.

L’entreprise de Marc Bellemare n’aura pas été vaine. Yolande Dubé, qui contemple l’étalage dédié à Proust que le libraire de Pantoute Édouard Tremblay a monté pour souligner le centenaire de la mort de l’écrivain, vient de décider de se lancer dans La Recherche.

« Je n’avais lu que son Contre Sainte-Beuve », dit-elle. Mais c’est en fréquentant les activités du week-end que lui est venue l’envie d’entamer La recherche. « Je craignais que la lecture d’À la recherche du temps perdu soit rébarbative, admet-elle. […] Mais il y a eu ce week-end d’activités, et j’ai été conquise par les commentaires qu’on en a faits. […] Cela montre à quel point des événements comme ça sont importants. C’était plein, et c’était fait de façon intelligente et subtile. »

La somme d’ouvrages qui paraissent pour marquer l’anniversaire de Proust participera à relancer l’engouement pour l’écrivain français.

« C’est aussi le rôle des libraires indépendants de continuer de mettre de l’avant ces livres-là auprès des lecteurs, dans la masse des nouvelles parutions, dit le libraire chez Pantoute, Édouard Tremblay. Quand quelque chose traverse l’épreuve des siècles, et garde sa résonance, sa pertinence, c’est parce qu’il y a quelque chose à y puiser. »

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