Image

Les 15 livres étrangers de 2022

Le Devoir Lire


De la kyrielle d’oeuvres publiées aux quatre coins de la planète, nos chroniqueurs n’ont retenu que la crème. La liste de Hugues Corriveau, Christian Desmeules, Manon Dumais, Marie Fradette, Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, Lemay, et Sonia Sarfati.

V13 d’Emmanuel Carrère (P.O.L.)

L’immense Emmanuel Carrère s’est mis au service de l’Histoire en décidant de suivre, pour L’Obs, le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et 350 blessés à Paris. Les chroniques hebdomadaires qu’il y a publiées pendant neuf mois ont été relues, revues et regroupées dans V13, livre coup-de-poing qui met des mots sur l’indescriptible et l’indicible, livre couteau qui fait hurler et pleurer en laissant la place, toute la place, aux faits plutôt qu’aux effets (de style).

Sonia Sarfati
 


Utopia Avenue de (Alto)

David Mitchell écrit des romans ambitieux. Il touche à plusieurs genres, les mêle sous une même couverture et crée une oeuvre formée de briques uniques cimentées par un talent hors norme. Avec Utopia Avenue, qui se déroule dans le des années 1960 et qui suit un groupe de folk rock psychédélique, il plonge tête première dans un réalisme plus linéaire. Mais qui l’a déjà lu verra les ramifications finement tendues vers ses écrits précédents. Une autre façon d’être (dans le) fantastique.

Sonia Sarfati
 


Le petit frère de Jean-Louis Tripp (Casterman)

Faire pleurer est une chose relativement facile en fiction. Émouvoir en est une autre. Et c’est exactement ce qu’a réussi Jean-Louis Tripp (Extases, 2017) avec ce magnifique album paru au tout début de l’été. Ici, l’auteur raconte le décès tragique de son jeune frère Gilles, 11 ans, des suites d’un accident de la route avec délit de fuite en 1976. Et toute la réussite de ce récit tient dans la façon qu’a Tripp de raconter ces petits moments inhérents au rituel du deuil. C’est, effectivement, émouvant.

François Lemay
 


Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon (Stock)

En 2021, Lola Lafon a passé une nuit dans l’annexe de la Maison Anne Frank, où cette dernière a vécu enfermée pendant deux ans pour échapper aux nazis, où elle a rédigé son journal, et d’où elle a été déportée dans un camp de concentration. Dans cet espace vide, l’écrivaine se laisse guider par les échos du passé pour interroger les symboles qui forgent nos identités collectives et individuelles, décortiquer les mécanismes de survie de la et témoigner du fardeau d’un héritage ravagé. D’une grande beauté.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec
 


Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli (Gallimard)

Pour s’approcher le plus possible de Vladimir Poutine, Giuliano da Empoli s’est servi avec génie de la fiction. Il pénètre dans les hautes sphères du pouvoir russe au moyen d’un personnage inventé, Vadim Baranov, dit « le mage du Kremlin », très inspiré de Vladislav Sourkov, éminence grise de Poutine jusqu’en 2021. Retraité, Baranov raconte au narrateur ses années au service de celui qu’il surnomme le « Tsar ». Le portrait glacé qu’il fait du président russe, tout fictif qu’il soit, n’est guère rassurant.

Caroline Montpetit
 


Félixe et la maison qui marchait la nuit de Sophie Bédard (La ville brûle)

La maison de Félixe a la bougeotte. Montagne, ville ou campagne, le décor change tous les matins. C’est le seul mouvement dans la vie tristounette de l’héroïne jusqu’à ce que quelques quidams viennent cogner à sa porte. Dans sa première bédé jeunesse publiée en France, Sophie Bédard raconte le deuil avec une rare sensibilité. Si le texte happe par des dialogues francs peuplés de silences nécessaires, l’indice de mignonnerie atteint des sommets dans l’illustration expressive, gorgée de douceur et d’humanité.

Marie Fradette
 


Guerre de Louis-Ferdinand Céline (Gallimard)

Dans ce roman inédit, disparu avec plusieurs autres pendant près de 80 ans au lendemain de la Libération, avant de refaire surface en 2021, Louis-Ferdinand Céline évoque son expérience de la Première Guerre mondiale. Une sorte de chaînon manquant dans l’oeuvre de Céline, ces 250 feuillets fiévreux et autobiographiques écrits en 1934. Un événement littéraire. Un roman qui est au diapason de la guerre telle que Céline la racontait déjà dans Voyage au bout de la nuit : « une immense, universelle moquerie ».

Christian Desmeules
 


Ukraine. 24 poètes pour un pays, anthologie établie par Ella Yevtouchenko et Bruno Doucey (Éditions Bruno Doucey)

J’aimerais insister sur le fait que non seulement la lecture de cette anthologie est nécessaire en ces temps de déréliction, mais qu’elle sert aussi admirablement la elle-même. En cinq parties, le livre effectue un retour en arrière, abordant l’histoire scripturaire récente de la « génération Maïdan » (celle d’après l’effondrement de l’URSS), celle dite « Au pied du mur », rappelant ensuite « Les voix dissidentes », « La Renaissance fusillée », jusqu’aux « Pionniers » du début du XXe siècle.

Hugues Corriveau
 


Le livre des soeurs d’ (Albin Michel)

Hommage à une soeur aînée, fougueux hymne à l’amour sororal, ce récit du lien fusionnel entre une fillette prodigieuse, mais terne, et sa cadette, tout aussi brillante, la fadeur en moins, porte bien la marque d’Amélie Nothomb. Après l’émouvant Premier sang (2021), où elle donnait la parole à son défunt père, la romancière explore avec le même brio le monde de l’enfance, où les sentiments s’expriment sans demi-mesure au fil de dialogues joliment ciselés, tout en dévoilant les cicatrices de sa jeunesse.

Manon Dumais
 


Billy Summers de Stephen King (Albin Michel)

Pas de retraite pour Stephen King ! Ce n’est ni une menace ni une promesse, mais un souhait, formulé après la lecture de Billy Summers. Inspiré comme jamais, ce diable d’homme reprend le concept usé du « fameux dernier coup qui tourne mal », qu’il amène plus haut et plus fort en mettant en scène un tueur à gages dont la précision des tirs n’a d’égale que la (pseudo) bêtise. L’horreur est ici mise en veilleuse et les projecteurs sont braqués sur les éclopés de la vie. Et sur l’amour des lettres.

Sonia Sarfati
 


La grande mer. Une histoire de la Méditerranée et des Méditerranéens de David Abulafia, traduit de l’anglais par Olivier Salvatori (Les Belles Lettres) 

Professeur émérite d’histoire méditerranéenne à Cambridge, David Abulafia nous offre, dans un livre grand public, un vaste panorama de l’histoire de la Méditerranée et des peuples qui l’ont traversée, qui ont habité ses ports, ses rivages et ses îles, depuis le peuplement néolithique jusqu’à l’époque actuelle et aux drames des migrants. Contrairement à l’historien français Fernand Braudel, Abulafia a choisi de limiter son récit de la « Grande Bleue » à la surface de la mer elle-même. Passionnant.

Christian Desmeules
 


Strega de Johanne Lykke Holm, traduit du suédois par Catherine Renaud (La Peuplade)

Le temps semble suspendu comme dans un rêve dans ce roman singulier sur la violence des hommes à l’endroit des femmes, où une narratrice de 19 ans nous ouvre la porte d’un univers sororal et fatal. Évoquant Pique-nique à Hanging Rock (Peter Weir), Virgin Suicides (Sofia Coppola) et Suspiria (Dario Argento), Strega distille un parfum suranné enveloppant et une douce langueur qui s’étiolent au fil du récit pour faire place à une atmosphère délétère au-dessus de laquelle plane une menace bien réelle.

Manon Dumais
 


Cher connard de Virginie Despentes (Grasset)

À travers une correspondance entre trois personnages que tout oppose, l’ brosse un portrait décapant de la France dans un récit parfois inégal, toujours d’une grande irrévérence, tantôt drôle, tantôt choquant ou désespérant. Ce n’est ni le souffle, ni la forme, ni le propos qui fait de ce livre l’un des romans phares de 2022, mais plutôt sa capacité à rappeler l’intelligence de la sobriété et du dialogue, à situer un juste milieu de la pensée qui nous permettrait, collectivement, de faire un pas vers l’avant.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec
 


La ligne de nage de Julie Otsuka (Gallimard)

Lorsqu’une fissure force la fermeture du bassin où elle nage en s’abandonnant aux longueurs et au prévisible, une dame à l’orée de la démence perd ses repères et tente de donner un sens, en compagnie de sa fille, aux morceaux épars de sa mémoire. Julie Otsuka explore ici les fissures qui grugent le temps et les liens, les rétrécissements comme les ouvertures, que laisse présager la fin d’une vie. Sa plume se déploie avec force dans l’apaisante monotonie du détail, dans la précision chirurgicale de la poésie.

Anne-Frédérique Hébert-Dolbec
 


Le Magicien de Colm Tóibín, traduit de l’anglais () par Anna Gibson (Grasset)

Colm Tóibín fait un roman de la vie de l’écrivain allemand Thomas Mann (1875-1955), lauréat du prix Nobel de littérature en 1929. Du Lido de La mort à jusqu’aux sanatoriums de La montagne magique, en passant par les émois intimes de l’écrivain — comme son attirance pour les hommes, contre laquelle il va lutter tant bien que mal toute sa vie —, ses engagements contre le nazisme et ses années d’exil, l’écrivain irlandais nous raconte de l’intérieur la vie de celui qu’on appelait le Magicien.

Christian Desmeules

À voir en vidéo

[...] continuer la lecture sur Le Devoir.

Palmarès des livres au Québec