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Amiante, de Sébastien Dulude | Les garçons de l’été, le livre de la rentrée

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Avant même sa parution, Amiante, le premier roman de Sébastien Dulude, figure déjà parmi la sélection de deux importants prix français. Entrevue avec celui qui dit avoir voulu saisir « l’occasion de littérature » que présentait sa jeunesse à Thetford Mines.


Publié à 3h24

Mis à jour à 7h00

« J’ai vécu là une décennie, mais j’y retourne toutes les semaines dans mes rêves », confie Sébastien Dulude en parlant du quartier Mitchell de Thetford Mines, ville de l’amiante et de sa jeunesse.

Amiante : c’est aussi le titre du premier roman du poète, écrit autour d’un « territoire qui m’habitait depuis longtemps », dit-il en se rappelant le paysage lunaire, environné par les résidus miniers, de ses années de primaire et de secondaire.

J’y suis retourné l’été dernier et ça me semblait tellement petit, alors qu’à l’époque, c’était un continent. Je pouvais partir avec mon bicycle, mes sandwichs et ne pas rencontrer un humain de la journée.

Sébastien Dulude au sujet de Thetford Mines

Avant même sa sortie, Amiante bénéfice d’une attention exceptionnelle en France où il figure parmi les 11 livres sélectionnés pour le Prix littéraire Le Monde (qui sera remis le 2 septembre), en plus d’être finaliste au prix Première Plume (remporté l’an dernier par un autre Québécois, Éric Chacour). Les Éditions J’ai lu ont déjà acquis les droits de sa réédition en poche.

Ce qui s’explique en partie par les efforts déployés en Europe par sa maison d’édition, La Peuplade, mais aussi par la proverbiale maturité de ce premier roman, qui ne marque pas du tout le premier pas en littérature de l’auteur de 47 ans, dans la mesure où il a déjà publié trois recueils et qu’il est un flamboyant vétéran du circuit des performances de poésie.



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Inspiré en partie de la vie de Dulude, Amiante — ça saute aux yeux dès les premières pages — est d’abord et avant tout une œuvre de fiction ou, du moins, un roman moins intéressé par le factuel du biographique que par la justesse des sensations irriguant le corps de Steve Dubois, 9 ans, alors qu’il tombe follement, vertigineusement, en amitié avec le petit Poulin.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Sébastien Dulude

« Dès que le biographique rôde autour de ton projet, on a souvent l’envie d’être dans une démarche réaliste, presque documentaire », observe celui qui est aussi directeur littéraire aux éditions La Mèche, « mais il y a parfois une occasion de littérature à saisir ».

Quelque chose de fantasmagorique

Cette occasion, Sébastien Dulude la saisit avec une fougueuse maîtrise grâce à une langue luxuriante, parfois précieuse, taillée avec le soin d’un diamantaire. Une langue qui traduit certes le quotidien alangui de son personnage, mais peut-être davantage ce qui bourgeonne dans son esprit et son cœur.

« Quelque chose de fantasmagorique », résume l’auteur, que ce « je fictionnalise à l’extrême » lui permet d’embrasser. « Steve est un condensé de mes noirceurs », ajoute celui qui a en commun avec son alter ego un amour pour le métal, une musique qui aura « englobé la colère que je ressentais et que je ne savais pas contre quoi diriger », dit-il.

En 1986, Steve et le petit Poulin passent leurs grandes journées dans le temps dilaté de l’été à lire des Tintin dans leur cabane, à cataloguer dans un scrapbook les articles relatant des catastrophes et, plus généralement, à savourer la solaire liberté de leur existence sans surveillance, que viendra tranquillement brouiller la découverte de la sexualité et une colère sourde face à un monde qui finit toujours par nous reprendre ce qu’il nous donne.

L’amitié, c’est un des premiers lieux où on commence à penser pour soi. Je me souviens d’avoir déjà été stressé de présenter certains amis à mes parents, parce que je savais qu’ils n’allaient pas approuver.

Sébastien Dulude

Steve et son best en sont, eux, à l’âge où l’amitié peut encore s’épanouir sans fausse pudeur, dans une fusion sacrée, bénie par la chaleur et le jus de pomme doux.

« Il y a toujours un moment où la tendresse naturelle qui peut exister entre deux garçons est rompue par les normes sociales, où tu ne vois plus les garçons se tenir par les épaules de la même manière, souligne Dulude. Alors qu’eux, ils sont dans un bien-être sensuel d’être en compagnie de l’autre. Steve est avec son idole qui le protège de tout. »

La douleur et l’euphorie

Thetford Mines est une des trois villes québécoises de l’amiante et, donc, une ville de travail physique, souvent aliénant. Une ville assujettie au pouvoir des entreprises minières et à la valeur sur le marché d’une matière aujourd’hui honnie.

Le regretté père de Sébastien Dulude incarnait d’ailleurs la logique implacable d’une industrie qui abandonne quand bon lui semble les trous et les gens qu’elle a exploités : c’est afin de fermer les livres d’une mine qu’il avait déménagé sa famille de Laval à Thetford Mines, ce qui, ça se devine aisément, n’avait pas facilité l’intégration sociale de son garçon.

Le père de Steve, lui, conduit un gros camion et déverse ses anxiétés, le soir venu, sur son fils. « Ça m’a étonné que ce soit une des premières choses dont les libraires en France m’ont parlé », raconte Dulude au sujet des présentations qu’il est allé faire à Paris au printemps. « Puis je me suis rappelé que j’étais quand même au pays de Germinal ! Le background sociologique, qui agit sur les personnages, ils connaissent ça. Il y a une violence globale qui habite ce type de ville là, où personne ne s’appartient vraiment. »

Sans rien embellir, bien au contraire, Sébastien Dulude signe un roman qui n’est certainement pas une célébration de Thetford Mines, mais qui arrive à placer côte à côte toute la douleur et l’euphorie d’une jeunesse de solitude, au cœur d’un milieu largement oblitéré par la littérature québécoise. L’œuvre canonique ayant Thetford Mines pour décor, Poussière sur la ville d’André Langevin, date de 1953.

« Ce n’est peut-être pas humble de le dire comme ça, mais j’ai voulu écrire LE livre sur le Thetford Mines de ces années-là. »

En librairie

Amiante

Amiante

Sébastien Dulude

La Peuplade

224 pages

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