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Antonine Maillet, 1929-2025 | « La figure maternelle de la littérature acadienne »

Paru en premier sur (source): journal La Presse

On s’en souvient d’elle comme d’une grande dame. Une pionnière. Une conteuse extraordinaire, qui n’a jamais perdu la flamme de l’écriture.


Publié à 16 h 17

« Quand je suis allé la voir la semaine dernière, elle avait encore de l’écriture en route et on en a lu des petits bouts de son journal ensemble pour se mettre dans son état de pensée. Elle savait où elle allait, elle était d’une très grande lucidité. Mme  a toujours été d’une grande lucidité », a confié son éditeur chez Leméac depuis 53 ans, Pierre Filion.

Il raconte qu’elle avait recommencé à écrire à la main depuis quelques années et se souvient de la dernière phrase qu’il avait lue, cette journée-là : « La vie est juste en face. Qu’est-ce que tu veux dire, Tonine ? Elle m’a dit : “Ma vraie vie commence. Je vais découvrir la vie.” C’est incroyable [rires] ! Je ne suis pas triste parce que Tonine est partie en très grande sérénité. Je suis triste parce qu’on a perdu une amie. »

Madame Maillet, c’est une icône ; c’est une voix de l’Acadie, une voix de la francophonie.

Pierre Filion, directeur général et éditorial chez Leméac

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE FILION

Janette Bertrand et au Salon du livre de Montréal, en novembre 2024

Depuis Paris, l’écrivain a dit avoir eu un sentiment étrange quand il a appris la nouvelle. « Je n’arrivais pas à être triste en apprenant cette nouvelle. Je me suis demandé comment on pouvait être triste face à cette boule d’énergie. Je me rappelle ces yeux aigus quand elle vous parlait, cette truculence de langage, ce désir fou de convaincre, ce goût du plaisir de dire les choses – de dire une chose : son amour de l’Acadie. »

Il se souvient de la façon dont elle avait élevé la voix en parlant de la Sagouine et son Acadie natale avec le président français Emmanuel Macron, qui lui avait rendu visite chez elle en septembre 2024. « Tant que je vivrai, avait-elle dit, je porterai l’Acadie dans mon cœur. Elle l’avait dit sans cesse ce soir-là à Emmanuel Macron. »

PHOTO SOAZIG DE LA MOISSONNIERE, FOURNIE PAR LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

Le président français Emmanuel Macron rendant visite à Antonine Maillet chez elle, avec Dany Laferrière, en septembre 2024.

La directrice artistique du Théâtre du Rideau Vert, Denise Filiatrault, a salué de son côté « une immense écrivaine, figure emblématique de l’Acadie dont l’empreinte sur le théâtre du Rideau Vert demeurera indélébile ». « Qu’elle repose en paix ayant accompli sa mission au terme d’une vie bien remplie », a souligné Mme Filiatrault.

À l’Université de Moncton, où Antonine Maillet a été chancelière de 1989 à 2001, les drapeaux ont été mis en berne pour 10 jours sur les trois campus. « Les derniers 25 ans, elle était toujours omniprésente, elle s’intéressait beaucoup au développement de “son” université, comme elle l’appelait souvent. Elle était heureuse de voir que l’université continuait à progresser et à se développer », a confié le DDenis Prud’homme, recteur et vice-chancelier de l’Université de Moncton.

En plus d’une avenue qui porte son nom, au Campus de Moncton, l’université a d’ailleurs mis en place une exposition permanente il y a deux ans avec des objets légués par Mme Maillet, dont son bureau d’écriture, tous ses manuscrits originaux et les crayons avec lesquels elle écrivait.

Herménégilde Chiasson, poète, dramaturge et réalisateur acadien qui a été lieutenant-gouverneur du , l’avait rencontrée quand il était étudiant à l’Université de Moncton. « J’ai suivi un cours avec elle sur la littérature étrangère et je me suis rendu compte à quel point elle avait vraiment une connaissance littéraire très étendue. Mais ce qui m’avait le plus surpris, c’est le fait qu’elle n’avait presque pas de notes. Elle arrivait et elle pouvait nous parler de  durant une heure de manière très éclairante. Elle a permis à la littérature acadienne le passage de l’oral à l’écrit. Elle disait à la blague qu’elle allait vivre jusqu’à 108 ans, qu’elle avait parlé avec son médecin [rires] ! »

Elle est un peu comme la figure maternelle de la littérature acadienne parce qu’à l’heure actuelle, il y a quatre générations d’écrivains acadiens, mais elle a vraiment été la première. C’est assez éprouvant parce que les gens de cette génération s’en vont – des gens comme Léonard Forest, par exemple, qui était cinéaste à l’ONF et qui a été durant très longtemps le seul cinéaste acadien ; Roméo Savoie, qui était un architecte et un peintre très réputé.

Herménégilde Chiasson

PHOTO DENIS GERMAIN, ARCHIVES

Edith Butler

« Une personne comme Antonine, on ne s’imagine pas qu’elle peut mourir. On dirait que c’est là pour tout le temps. » La voix d’Edith Butler était moins enjouée que d’habitude au bout du fil lundi. À 82 ans, la chanteuse acadienne vient de perdre une amie, une mentore, une « maître à penser » qu’elle fréquentait depuis des décennies. « Je l’ai rencontrée très jeune, vers 16-17 ans. Elle était notre prof au Collège Notre-Dame d’Acadie. » Avec d’autres enseignantes, Antonine Maillet a transmis à Edith Butler cette « responsabilité de continuer l’Acadie », raconte-t-elle.

Les deux femmes se sont depuis toujours suivies. Antonine a assisté à tous ses spectacles, Edith a joué dans ses pièces au Rideau-Vert… et a même inspiré un bout de Pélagie-la-Charrette ! Pour aider l’autrice à débloquer dans l’écriture du roman, elle lui avait raconté l’histoire de la famille de sa mère, lors d’une discussion à bord d’un avion. « Si vous lisez Pélagie, vous allez trouver l’histoire des Godin. C’est celle des ancêtres de ma mère. »

Quand elle pense à Antonine Maillet, Edith Butler se souvient d’une grande conteuse « que ce soit devant une seule personne ou en public », d’une femme heureuse qui aimait ce qu’elle faisait, de son rire – « Elle riait tout le temps ! » –, de l’amitié. « Au printemps dernier, on avait fait une fête pour ses 95 ans. Elle était debout, pas de canne, et nous a fait un discours à plus finir… Cette fois-là, j’ai pris une photo de ses yeux. Ils étaient pétillants, pleins de vie, comme ceux d’un enfant. » Plus qu’un héritage, Antonine Maillet laisse derrière elle un patrimoine, estime Edith Butler. « Si c’était juste de moi, l’Université de Moncton, aujourd’hui, je la renommerais Université Antonine-Maillet. »

La cinéaste Ginette Pellerin, qui avait réalisé en 2009 le documentaire sur l’écrivaine Les possibles sont infinis (offert sur le site de l’ONF), se souvient également de la conteuse incroyable qu’elle était. « C’était quelqu’un qui adorait raconter, a-t-elle dit à La Presse. C’était un monument. Un personnage extraordinaire. Une pionnière, une précurseure. C’était quelqu’un qui avait des connaissances infinies. C’était aussi quelqu’un d’une grande rigueur, et ça m’avait fasciné. Son personnage principal, la Sagouine, a touché tout le . »

Un « pays » en deuil

Thierry Arseneau a été codirecteur du Pays de la Sagouine qui accueille, depuis deux ans, au-dessus de 80 000 visiteurs – surtout du Québec et des provinces de l’Atlantique, mais de plus en plus de l’est des , de l’Ontario et de l’Europe – qui font le déplacement jusqu’au village inspiré de son célèbre personnage. Il se souvient de la dernière visite de Mme Maillet au Pays de la Sagouine, en 2022, à l’occasion du 30anniversaire des lieux, et du privilège qu’il avait eu de la reconduire de Bouctouche à Montréal. « Ça m’a rappelé plein de souvenirs parce qu’il y a plus de 30 ans, j’avais fait ma thèse de maîtrise sur l’œuvre d’Antonine Maillet et je l’avais interviewée. Je lui ai parlé il y a deux semaines lorsqu’on lui a envoyé des fleurs pour égayer sa convalescence après son séjour à l’hôpital. Elle m’a appelé pour nous dire merci. Elle était toujours aussi vive d’esprit et son humour était toujours intact. Elle m’a dit : “Je sais qu’il y a des gens qui parlent de moi en Acadie ces temps-ci. Si tu entends des gens parler en mal de moi, tu peux me les envoyer, je vais m’occuper d’eux !” C’était une femme extraordinaire qui a permis à tout un peuple de se tenir debout et d’être fier de qui nous sommes. »

Dans un communiqué publié sur Facebook, le président du Conseil d’administration du Pays de la Sagouine, Camille Thériault, a déclaré que grâce à Antonine Maillet, « un petit “pays” a pris naissance dans la Baie de Bouctouche, [un] espace de création et de rassemblement qui a accueilli bien au-delà d’un million de visiteurs depuis son ouverture et qui a encouragé des générations à s’exprimer et à se raconter ».

« Je ne pense pas qu’il soit possible de mettre en paroles la gratitude, le respect et l’amour que nous avons pour Antonine Maillet ici, au Pays de la Sagouine », a témoigné la directrice générale et artistique, Monique Poirier. « Au-delà du fait que ce merveilleux site touristique et culturel soit né grâce à son imagination et à son audace, Antonine a fait connaître son Acadie en ayant le courage d’en parler avec ses mots, son cœur et ses trippes. C’est la plus belle façon de s’exprimer et d’aller vers l’autre ; c’est le plus beau legs qu’elle puisse nous faire. »

« Elle m’a donné les outils pour nager à contre-courant et vivre pleinement ma liberté créatrice », a souligné Denise Bouchard qui, en plus d’incarner le personnage de Mariaagélas depuis 30 ans, occupe le rôle de metteure en scène et d’autrice au Pays de la Sagouine depuis une dizaine d’années. Luc LeBlanc, qui incarne de son côté le personnage de Citrouille depuis 30 ans a ajouté que Madame Maillet a été une ambassadrice pour l’Acadie. « Mais pour moi, elle a été comme une mère ou une grand-mère. »

« L’héritage d’Antonine Maillet perdurera par le biais des histoires qu’elle a racontées, la fierté qu’elle a suscitée et ses contributions au tissu culturel de notre province », a écrit sur X la première ministre du Nouveau-Brunswick, Susan Holt.

À travers son œuvre qui s’est étalée sur plus d’un demi-siècle, Antonine Maillet a marqué l’imaginaire bien au-delà de son Acadie natale.

Sur le réseau social X, le premier ministre s’est souvenu « des monologues songés de la Sagouine avec son bel accent acadien ». Le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, y a écrit pour sa part que cette « géante de la littérature d’expression française, pionnière de la littérature acadienne qui aura atteint un vaste public grâce à ses romans, son théâtre et ses monologues de La Sagouine, a montré que l’universel se trouvait aussi dans la réalité locale ».

Le Consulat général de France à Québec a également déploré la disparition d’Antonine Maillet sur le réseau social, la qualifiant de « perte immense pour la francophonie », tout en rappelant le prix qu’elle avait remporté en 1979 et l’honneur qu’elle avait reçu du président français Emmanuel Macron, qui l’a élevée au grade de commandeure de la Légion d’honneur en 2021.

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