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Antonine Maillet, 1929-2025 | La plus grande voix de l’Acadie s’éteint

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Après une vie passée à raconter les histoires et les gens de son Acadie natale, l’ de La Sagouine a rendu l’âme à l’âge de 95 ans, a confirmé sa maison d’édition, Leméac.


Publié à 10 h 50

En plus d’avoir écrit plus d’une cinquantaine de titres – romans, contes, pièces de et essais – traduits en de nombreuses langues, a été récompensée à de nombreuses reprises durant sa carrière d’écrivaine, notamment par le prestigieux prix Goncourt, en 1979, qu’elle a été la première non européenne et la seule Canadienne à ce jour à avoir remporté.

« Je veux écrire jusqu’à 100 ans, si je les vis », a-t-elle dit à La Presse en 2019, lors de la parution de son autobiographie, Clin d’œil au Temps qui passe, qui coïncidait avec son 90e anniversaire de naissance. Dans ce livre inhabituellement intime, l’écrivaine revient pour la première fois sur ses débuts dans l’écriture, sur la maladie de sa mère, la mort de son de même que les années passées auprès de sa compagne Mecha (la cofondatrice du Théâtre du Rideau Vert Mercedes Palomino, morte en 2006).

Puis, en 2022, à l’âge 93 ans, Antonine a voulu départager son héritage en écrivant Mon testament, une œuvre qui rend hommage à tous les personnages qui ont redonné vie à son Acadie natale. « La mission de l’écrivain est la même que celle d’une mère qui met au monde des enfants. Moi, j’ai mis au monde quelques centaines d’enfants : mes personnages. Je leur dois tout. Et ils sont plus forts que moi », a-t-elle alors confié à La Presse.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Antonine Maillet est à ce jour la seule Canadienne à avoir remporté le prestigieux prix Goncourt.

Antonine Maillet est née le 10 mai 1929 à Bouctouche, au , de parents instituteurs qui accordaient une grande place à la culture au sein de la famille de neuf enfants. Tandis que tous ses frères et sœurs jouaient du piano, elle aimait déjà raconter des histoires.

Dans le documentaire de Ginette Pellerin en 2009, Les possibles sont infinis, elle se souvient comment sa mère, qu’elle a perdue à 14 ans, avait très tôt cerné l’enfant à l’imagination débordante qu’elle était. « Mes deux parents ont compris ce qu’il me fallait dans la vie, l’ont respecté et m’ont encouragée. » À son père, qui meurt 10 ans plus tard, elle a le temps de lire son premier roman en cours d’écriture, Pointe-aux-Coques (publié en 1958), qui met en scène les tout premiers personnages issus de sa terre natale.

« Mon inspiration provient de mes racines », a-t-elle dit lors d’un entretien en 2019 avec des étudiants de l’Université de Montréal, établissement où elle a elle-même étudié, puis enseigné et obtenu un doctorat honorifique (en plus d’une trentaine d’autres doctorats honorifiques).

Quand j’écris, c’est cette Acadie qui me parle et je lui parle aussi.

Antonine Maillet

Avant de se consacrer exclusivement à l’écriture, Antonine Maillet a d’abord exercé le métier d’institutrice tout en poursuivant ses études. « Lorsque j’ai reçu mon baccalauréat en 1950, nous n’étions que quatre filles parmi toute la cohorte de garçons. Mère Jeanne de Valois nous a alors dit à toutes les quatre : “L’Acadie n’existera peut-être plus dans 50 ans, mais si elle existe encore, ça va dépendre de vous, les femmes, parce que c’est vous qui assurerez l’éducation en Acadie” », a-t-elle raconté à la revue Les diplômés de l’Université de Montréal en 2019.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Antonine Maillet en novembre 1979

En 1961, elle quitte sa province natale pour étudier à l’Université de Montréal. Puis, encouragée par un professeur de l’Université Laval, elle prépare un doctorat sur la tradition orale acadienne et l’étude de Rabelais qui lui fait entreprendre un tour de l’Acadie au cours duquel elle interviewe des aînés et se nourrit d’histoires qui inspireront ses œuvres futures. Une Bourse du Conseil des Arts du l’envoie par la suite étudier un an à Paris, mais elle retourne en Amérique du Nord pour enseigner à l’Université de Moncton, à l’Université Laval et à l’Université de Montréal, s’installant définitivement dans la métropole au cours des années 1970.

En 1972, elle obtient le Prix du Gouverneur général pour Don l’Original, mais c’est le succès de sa célèbre pièce La Sagouine, publiée l’année précédente, qui la convaincra de mettre fin à sa carrière en enseignement en 1975. « Je suis devenue un écrivain connu avec la Sagouine. C’est elle qui m’a fait connaître. Et je suis tellement fière de [ce livre] parce que c’est ça qui est l’œuvre unique, dans un sens. N’importe qui pouvait écrire Pélagie. Mais pas celle-là. Il fallait l’avoir vécue, l’avoir vue, avoir connu sa langue », a-t-elle dit à La Presse en 2022, après la parution de Mon testament.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Antonine Maillet (à droite) avec la regrettée interprète de La Sagouine, en 2003.

Les monologues en chiac de cette laveuse de planchers acadienne qui a réellement existé, sur les difficultés de la vie et la pauvreté, ont été interprétés sur scène par la comédienne Viola Léger, qui a incarné le personnage plus de 2000 fois de 1971 à 2013, en français et en anglais, au Canada aussi bien qu’en Europe et aux États-Unis. La pièce a également été adaptée à la télévision de Radio-Canada en 1976 et a inspiré la création d’un village thématique au Nouveau-Brunswick, Le Pays de la Sagouine, qui a ouvert ses portes en 1992 sur une petite île dans la baie de Bouctouche, là où l’écrivaine a toujours dit puiser son inspiration artistique.

Une œuvre aux accents d’Acadie

Que ce soit avec Lettres de mon phare, Pierre Bleu ou encore L’Île-aux-Puces, Antonine Maillet a construit une œuvre émaillée de français acadien, empreinte d’un attachement sans bornes pour le peuple de son bord de mer natal, ses croyances et ses traditions, donnant une voix à ceux qui n’en ont pas – ces « gens d’En Bas », comme elle les appelle dans la pièce Les Crasseux. Elle a immortalisé des personnages marginaux, comme dans Madame Perfecta, où elle évoque avec affection cette femme qui prenait soin de sa demeure, ou Mariaagélas, l’histoire d’une héroïne qui devient contrebandière et qui lui a valu le prix Québec-Paris, en 1975. Et à travers toute son œuvre trônent des personnages de femmes inoubliables, telle la veuve devenue esclave de Pélagie-la-Charrette, le roman qui lui a permis de remporter le Goncourt en 1979, l’année du 375e anniversaire de l’Acadie.

Le prestigieux prix français a d’ailleurs été l’occasion pour elle de réaffirmer ce qu’elle appelait alors sa lutte culturelle. « [Pélagie-la-Charrette] arrive à un moment où l’on doit dire à la qu’elle n’a pas le droit de s’accaparer de la langue française à elle toute seule. La langue française appartient à la francophonie, à ceux qui la parlent. Pélagie-la-Charrette, c’est une revanche à l’histoire, l’histoire qui nous avait oubliés. C’était un geste que je disais à la France : on n’est pas morts », avait-elle rappelé en mars 2021 en revenant sur cette victoire dans une entrevue réalisée par La Fabrique culturelle de Télé-Québec.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LAPRESSE

Antonine Maillet dans sa résidence de la rue , à l’occasion de la sortie de son autobiographie en 2019.

Antonine Maillet a néanmoins porté difficilement l’obtention de ce prix en raison du malaise qu’il a causé parmi nombre de ses confrères de la Belle Province, notamment parce que la première Canadienne francophone à l’avoir remporté n’était pas québécoise. La pression était par ailleurs très forte par rapport à la suite de son œuvre, mais l’écrivaine redouble de créativité et parvient même à accélérer son rythme d’écriture, entamant un nouveau livre sitôt le précédent terminé.

« Antonine Maillet est certainement une auteure prolifique et incontournable de la littérature acadienne et francophone. Mais ce qui la distingue et nous la fait apprécier encore davantage, c’est la vivacité des personnages qu’elle dépeint et son amour manifeste pour les sonorités si particulières et si belles de la langue française acadienne », avait alors affirmé en 2020 Sonia LeBel, ministre responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, en lui remettant le prix Acadie-Québec.

Antonine Maillet a par ailleurs été nommée en 2020 citoyenne d’honneur de la Ville de Montréal par la mairesse Valérie Plante, qui a souhaité souligner l’empreinte laissée par « une grande femme de lettres, une icône de la littérature » dans la culture, l’histoire et la mémoire de la métropole – « la métropole de tous les francophones d’Amérique du Nord », selon l’écrivaine qui l’a habitée pendant plus de la moitié de sa vie, entre autres sur l’avenue du quartier Outremont baptisée de son nom.

Faisant preuve d’une grande discipline dans l’écriture tout au long de sa carrière, Antonine Maillet n’a jamais manqué de souligner l’importance de ce métier qu’elle a choisi et vénéré.

« L’écrivain, comme l’artiste, a, à mon sens, une charge, il est chargé d’une mission. Le créateur ne fait pas juste s’amuser à faire des choses nouvelles ; il crée des choses qui représentent la vision de toute sa génération ou de tout son peuple, de son pays ou de son coin du monde », avait-elle dit en 2008 à La Presse à la sortie de son roman Le mystérieux voyage de Rien.

« J’ai rêvé de beaucoup de choses, d’être exploratrice, par exemple, ou historienne ou même avocate. Mais le rêve des rêves, c’était de passer toute ma vie à raconter des histoires. Je peux donc dire que j’ai réussi jusqu’à présent… et dans le plaisir, de surcroît ! »

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