Antonine Maillet, romancière et dramaturge acadienne n’est plus

Une des plus grandes voix littéraires canadiennes s’est éteinte. La romancière et dramaturge acadienne Antonine Maillet est décédée lundi matin. Elle avait 95 ans.

Elle écrivait sans cesse. En 2020, en pleine pandémie, sa maison d’édition publiait Fabliau des Temps Nouveaux, un conte. Leméac avait aussi relié le premier tome de son intégrale, y incluant Pélagie-la-Charrette, le roman épique pour lequel elle s’était méritée le Goncourt en 1979.

La romancière acadienne était la première non-Européenne à recevoir cet honneur. Quarante-cinq ans plus tard, elle est toujours la seule Canadienne à avoir accompli cet exploit littéraire.

À l’époque, elle avait réagi en déclarant que son père et sa mère étaient désormais vengés. Elle avait remis l’Acadie sur la carte de la francophonie dans ce roman qui raconte l’épopée de Pélagie, qui revient chez elle après la déportation des Acadiens.

Vue sur la mer

Née à Bouctouche, au Nouveau-Brunswick, dans une famille nombreuse, Antonine Maillet a perdu sa mère à 14 ans et son père à 24 ans. Ils étaient tous deux maîtres d’école. Elle a toujours dit qu’ils l’avaient encouragée à faire de ses rêves d’enfant une réalité, soit à devenir écrivaine.

Antonine Maillet a d’abord décroché son baccalauréat puis enseigné dans une école publique. Elle est entrée au couvent – devenant sœur Marie Grégoire – tout en continuant ses études en lettres.

Ses vœux ne l’ont pas empêchée d’écrire des pièces de théâtre et un premier roman, Pointe-aux-Coques, publié en 1958.

La vocation d’écrivaine

Se décrivant comme une visionnaire qui avait envie d’aller vers autre chose, elle a laissé tomber la vocation religieuse en 1967.

Parce que là, j’ai compris que c’était pas ma place. J’étais un petit peu visionnaire, quand même, on peut pas être écrivain et ne pas être un peu visionnaire. Alors, je savais que le monde s’en allait vers quelque chose d’autre. Et je voulais être au premier rang de ce nouveau monde, disait-elle au micro de Radio-Canada.

Elle a obtenu un doctorat en littérature de l’Université Laval et a enseigné à Québec, à Montréal et aux États-Unis, notamment à l’Université de Californie, à Berkeley.

C’est en 1970 qu’elle crée son personnage le plus célèbre et publie l’œuvre qui l’a fait connaître et l’a rendue célèbre : La Sagouine. Antonine Maillet a alors tout de suite pensé à Viola Léger, qu’elle a connue au collège, pour interpréter le rôle de cette femme de ménage acadienne.

La Sagouine

L’Acadie, c’est pas un pays, ça. Acadiens, c’est pas une nationalité par rapport que c’est pas écrit dans les livres de jo-graphie, dit le personnage.

La Sagouine, c’est à la fois une pauvre, la dernière des démunies, mais avec une dignité qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer, expliquait l’auteure.

Sans le savoir, cette Sagouine-là dit des vérités qu’on avait terriblement besoin de dire, pis cette vérité-là, c’est : “Nous sommes encore en vie après toutes les épreuves qu’on a traversées”.

La Sagouine a été refusée dans plusieurs théâtres, au motif que l’on ne comprenait pas ce que disait le personnage. Le Théâtre du Rideau Vert, lui, comprenait qu’il venait de découvrir une pépite. C’est l’audace de Mercedes Palomino, une des cofondatrices du Théâtre avec Yvette Brind’Amour, qui a permis à la femme de ménage acadienne de s’exprimer sur scène.

Les monologues de la Sagouine ont ensuite été diffusés, avec succès, à la radio et à la télévision de Radio-Canada.

La Sagouine a alors connu une telle popularité que l’on en a même fait un village thématique au Nouveau-Brunswick, à Bouctouche plus précisément.

Des personnages bavards

Antonine Maillet y avait une résidence, un phare, qu’elle habitait l’été.

À Montréal, ville dont elle est devenue citoyenne d’honneur, elle résidait sur la rue qui porte son nom.

Le vaste grenier servait de refuge aux personnages qui l’interpellaient de toutes parts avant de se ranger sur les lignes de son cahier, ou de son écran.

Elle a signé une cinquantaine de livres ainsi que des pièces de théâtre et des livres pour enfants. On lui a également décerné une trentaine de doctorats honorifiques, d’innombrables prix, de hautes distinctions au Canada, en France, à Monaco et en Italie.

Tout récemment, Postes Canada lui a même rendu hommage en mettant son visage sur un timbre aux côtés d’autres grands auteurs francophones.

Antonine Maillet a également rencontré plusieurs présidents français, dont Jacques Chirac et Emmanuel Macron, ce dernier à plus d’une reprise.

En 2021, Emmanuel Macron l’accueille à Paris et lui remet la médaille de commandeur de l’Ordre de la Légion d’honneur, une très haute décoration française.

À cette époque-là, il lui avait promis de participer au Congrès mondial acadien organisé en août 2024 dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, promesse qu’il n’a pas pu tenir en raison de l’activité politique de son pays.

Toutefois, il lui a rendu visite à son domicile de Montréal en 2024.

Si elle vit à Montréal depuis des décennies, elle reviendra à Bouctouche pour son dernier repos. Un retour à ses racines, comme l’ont fait ses ancêtres et son personnage de Pélagie. Là où a commencé son œuvre magistrale.

Avec des informations de Michèle Brideau, L’encyclopédie canadienne, Leméac, Antonine Maillet – Les possibles sont infinis par Ginette Pellerin, Office national du film