Paru en premier sur (source): journal La Presse
Nos critiques de bandes dessinées d’ici et d’ailleurs.
Publié à 7 h 00
Indémodable Mafalda !
Rendre hommage à un célèbre personnage de bande dessinée est une opération casse-gueule, tant il est difficile de reproduire l’esprit d’une œuvre, ce je ne sais quoi qu’un artiste est le seul à savoir insuffler à ses créatures imaginaires. Mafalda, mon héroïne constitue une heureuse exception. En plus de dire combien cette fabuleuse empêcheuse de tourner en rond a marqué la vie des créatrices qui lui redonnent vie aujourd’hui, cette collection d’histoires pour la plupart très inspirées rappelle à quel point son esprit critique et son humour nous manquent. Mafalda regarde ici le monde contemporain à travers les yeux d’Aude Picault, Soledad, Véro Cazot, Florence Cestac et plusieurs autres. Si elles ne se gênent pas pour amener la lucide fillette imaginée par l’Argentin Quino dans leur univers, elles en traduisent fort bien l’esprit. Qu’est-ce qu’elle nous avait manqué !

Mafalda, mon héroïne
Glénat
96 pages
Retour poétique sur la crise du sida
Il faut avoir grandi dans les années 1980 et 1990 pour se rappeler à quel point le sida a marqué les esprits. Salon de beauté, adapté d’un roman de Mario Bellatin, raconte de manière à la fois crue et poétique comment le virus a frappé un trio d’amis à Paris, à une époque où on ne savait encore pas grand-chose au sujet de cette terrible maladie. Jeshua et ses copains travestis mènent en fait plusieurs vies : le jour, ils coiffent et rendent belles leurs clientes et, le soir venu, font le trottoir ou la fête en boîte ou dans des saunas. L’épidémie change tout. Quentin Zuttion aborde avec une délicatesse énorme cette tragédie, tant sur le plan visuel que dans le soin qu’il prend à construire des personnages profondément humains. Rien n’est appuyé ici, mais on saisit à la fois le courage de ces hommes, la menace qui plane sur eux en raison de leur différence et, bien sûr, de ce virus impitoyable. On en retient une poésie tragique, extrêmement touchante. Un livre qui marque.

Salon de beauté
Dupuis
178 pages
Ode à l’imaginaire
Philippe Girard est sur une belle lancée. Après son surprenant Supercanon ! consacré au mystérieux expert en balistique Gerald Bull, le voilà qui s’intéresse à une autre figure historique : Antoine de Saint-Exupéry. Le bédéiste s’attarde surtout au séjour au Québec du célèbre romancier et aviateur. Il raconte sa relation complexe avec son épouse, ses doutes, ses aventures et ses blessures de guerre. Il rappelle aussi que c’est à Québec qu’il a rencontré un petit garçon bien curieux, Thomas De Koninck, futur philosophe, dont on dit parfois qu’il est l’enfant qui a inspiré le désormais légendaire personnage. Philippe Girard pousse même un peu plus loin en imaginant des scènes qui se seraient déroulées au Québec et qui auraient inspiré d’autres parties du conte universellement connu (l’allumeur de réverbères ou l’idée de dessiner le mouton dans une boîte).

Sacco regarde vers Gaza
Personne dans le monde de la bande dessinée ne s’est intéressé aux Palestiniens plus que Joe Sacco. Sa première BD reportage d’envergure s’intitule Palestine et il a aussi consacré une grande enquête aux massacres de Palestiniens par Israël à Rafah et à Khan Younès (Gaza 1956). Ce qui se déroule actuellement dans la bande de Gaza le tétanise. Il en témoigne dans un très court récit de 32 pages où il dénonce la rhétorique américaine, qu’il juge hypocrite, au sujet des bombardements en cours et se demande jusqu’où iront les opérations de destruction menées par le gouvernement Nétanyahou. On le sent à la fois outré et désemparé au fil de ces pages où il trace aussi un parallèle avec les bombardements intenses sur Malte durant la Seconde Guerre mondiale, qui ont traumatisé à vie sa mère, et les cicatrices profondes que laisseront inévitablement les opérations militaires actuellement menées par Israël à Gaza.

Guerre à Gaza
Futuropolis
31 pages