Paru en premier sur (source): journal La Presse
Parmi les bandes dessinées parues récemment, voici quatre titres qui ont retenu notre attention.
Publié à 8 h 00
Ce bleu-là aussi est chaud
Découvert avec son bouleversant Le bleu est une couleur chaude sorti en 2010 et adapté au cinéma en 2013 sous le titre La vie d’Adèle (le film a remporté la Palme d’or), Jul Maroh renoue ici avec une histoire d’amour de jeunesse empreinte de fragilité, de tristesse et de courage. Khalil, jeune lycéen d’origine arabe, a fait son coming out. Sa famille l’aime comme il est et il se taille une place à l’école en concevant les décors pour le spectacle de la troupe de théâtre. Tout n’est pas au beau fixe pour autant : il se fait intimider par une bande de garçons et surtout par Isaël de qui il finira toutefois par se rapprocher. Avec une infinie délicatesse, Jul Maroh sonde les mouvements du cœur de ces deux grands ados, qu’elle baigne dans un bleu chaud tirant sur l’aqua. Son magnifique trait noir, ni trop mince ni trop gras, donne corps et vie à la galerie de personnages attachants qui peuplent ce récit placé du côté de la lumière. Détail intéressant : l’un de ses personnages a passé une partie de sa vie au Québec et elle le fait sentir dans les dialogues.

Boutonné en jalousie
Le Lombard
125 pages
Délirante chasse-galerie
Que faire après un succès tel que La pitoune et la poutine ? Imiter Hollywood et faire une suite. C’est d’ailleurs ce à quoi s’affairent Alexandre Fontaine Rousseau et Xavier Cadieux au début des Canots de Satan, nouvelle épopée échevelée inspirée des mythes de notre terroir. Ici, c’est de la chasse-galerie qu’il est question. Avec une grosse pelletée de poudre de perlimpinpin démoniaque. En gros, ce récit délirant se déroule dans un Bas-Canada où tout le monde se promène en canot volant (même pour se rendre au dépanneur), ce qui inquiète le Vatican et fait grimper la température de la planète. Cette dévotion envers ce moyen de transport est à son paroxysme dans de très populaires courses de canots volants où tous les coups sont permis. Quelque part entre Dan Brown et Rapides et dangereux, cette tempête d’idées joyeusement malicieuse cache un fond de fable écolo. Spectaculaire.

Les canots de Satan
Pow Pow
298 pages
Sonder l’âme d’un déserteur
Connu en France comme homme de télévision, Georges de Caunes était aussi un déserteur. Son fils, Antoine de Caunes, lui aussi connu comme homme de télévision, ne le dit pas comme ça, mais c’est ce qu’il décrit : son père, pourtant aimant, a passé sa vie à partir à l’aventure en solo. Il déserte raconte l’une de ces aventures, celle d’un séjour sur une île déserte des Marquises (d’où le jeu de mots du titre) où George de Caunes s’était promis de passer une année en autarcie. Il jouait exprès au naufragé, se prenant pour Robinson Crusoé. Le fils raconte ici le père à travers des archives, mais invente aussi des dialogues intérieurs. Il parle de solitude, de folie, de la rude lubie d’un homme peut-être jamais totalement sorti de l’enfance. Ce n’est pas inintéressant, mais ce livre ambitieux aurait gagné à explorer davantage les émotions du gamin de 8 ans que cet explorateur laissait volontairement derrière lui. L’absence d’Antoine de Caunes dans ce récit crée un vide que les dessins magnifiques et époustouflants de Xavier Coste (auteur d’une fantastique adaptation de 1984 de George Orwell en 2021) n’arrivent pas à combler.

Il déserte
Dargaud
208 pages
Un classique reste un classique
Là, on triche un peu. Le bestiaire des fruits est loin d’être une nouveauté. C’est le petit livre de Zviane (Football-Fantaisies, Les deuxièmes, etc.) qui a presque 15 ans. D’abord édité à compte d’auteur en 2011, il avait été repris trois ans plus tard par La Pastèque, qui l’intègre aujourd’hui dans sa collection poche. Paru après Apnée, récit sensoriel explorant un état de flottement plus bleu qu’ensoleillé, Le bestiaire des fruits est un recueil vif et plein d’humour dans lequel Zviane se transforme en exploratrice qui va à la rencontre des fruits exotiques sur lesquelles elle peut mettre la main dans les épiceries de Saint-Laurent. Armée de sa curiosité, de ses cinq sens et d’une connexion internet, elle classe ses découvertes et raconte des bribes de sa petite vie. Un recueil pas toujours ragoûtant, mais franchement pétillant !

Le bestiaire des fruits
La Pastèque
120 pages