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Les BD Le Château des animaux et Watership Down ont ceci de particulier qu’elles sont toutes deux des adaptations franchement réussies de romans d’auteurs britanniques. Autre trait commun : elles mettent en scène divers animaux, d’un taureau despote à une bande de lapins courageux, en passant par un rat porteur d’esprit de sédition, pour mieux refléter les multiples facettes de la nature… de l’Homme.
La série Le Château des animaux, du tandem Delep-Dorison, s’avère une foisonnante relecture de La ferme des animaux de George Orwell. De son côté, l’album Watership Down est une somptueuse mise en images du classique de Richard Adams par l’illustrateur Joe Sutphin.
Désobéir pour contrer la tyrannie

Librement inspiré du roman de George Orwell, le message du «Château des animaux» demeure tout aussi puissant, quelque 75 ans plus tard.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Le prolifique scénariste Xavier Dorison (Le Troisième Testament, Kriss de Valnor, Undertaker) signe les textes du Château des animaux. Tout en rendant hommage par la bande à l’un de ses compatriotes – un certain Jean de la Fontaine – le Français revisite librement, à la base, La ferme des animaux d’Orwell.
Criante d’actualité, sa relecture s’avère aussi percutante aujourd’hui que la fable politique était brillante à l’époque de sa parution en 1945, par sa dénonciation des dictatures et des violences psychologique, physique et morale utilisées pour maintenir une population dans la peur et l’asservissement.
Le président Silvio, un taureau aussi noir de poils que de cœur et d’âme, règne implacablement sur ledit château et les animaux qui travaillent
pour lui. Pour consolider son autorité, Silvio peut notamment compter sur sa milice de chiens dressés pour mordre, voire tuer, et sur les conseils de la vache Bella, désireuse de préserver les privilèges dont elle jouit à titre de favorite.
Malgré la vigilance des chiens, le rat Azélar réussit toutefois à se glisser entre les murs du château et y donne son spectacle relatant la lutte pacifique d’un fakir contre un roi lointain. Du même souffle, le rongeur saltimbanque propage des idées de désobéissance civile, qui vont lentement mais sûrement germer dans l’esprit de la chatte Miss Bengalore, surnommée Miss B, et du (chaud) lapin César, entre autres.
Ainsi, des fleurs poussant
sur les murs en honneur à l’oie Marguerite, martyre de la résistance, à la tenue d’élections libres réclamée par Miss B au nom de tous les animaux, les gestes de remise en cause de l’ordre établi vont s’accentuer. Au risque de créer des scissions dans les rangs et de tout faire basculer.

Xavier Dorison et Félix Delep font des clins d’œil à l’histoire, notamment en prêtant les traits de Gandhi à un personnage de conte.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Mais le rire peut-il vraiment désamorcer les mécanismes autrement bien huilés d’un régime de terreur? La non-violence peut-elle venir à bout de la tyrannie? Peut-on faire mal aux autres sous prétexte de faire le bien? Et si mener la révolution faisait émerger d’étranges envies de pouvoir?
Ce sont là autant de questions qui sont à nouveau explorées, finement creusées, dans Le Château des animaux. Et pas seulement pas l’intelligent scénario de Dorison. Ses textes sont solidement appuyés par les éloquentes illustrations de Félix Delep. Ce dernier, dont il s’agit de la première série, réussit à rendre les animaux du château dans toutes les nuances de leur personnalité et les expressions de leur caractère, sans tomber dans les excès d’anthropomorphisme pour autant.
Ensemble, ils parsèment leur œuvre de clins d’œil subtils au texte original et à certaines figures historiques. Ici, par les cochons, devenus les pages de Silvio. Là, par les traits de Gandhi donnés au fakir d’Azélar ou encore la brève apparition d’un Napoléon en début de troisième tome.
Le Château des animaux de Dorison et Delep compte déjà trois titres : Miss Bengalore, Les Marguerites de l’hiver et La Nuit des justes.
Le quatrième et dernier tome de la série, Le Sang du roi, doit atterrir sur les tablettes des librairies en novembre prochain.
Partir pour survivre à l’inconnu

«Watership Down» se lit comme un hymne à la solidarité et au courage nécessaire pour faire face au changement.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Magnifique transposition en bande dessinée d’une autre histoire mettant en vedette des animaux, Watership Down s’intéresse plus spécifiquement à un groupe de lapins de garenne. Il s’agit de l’adaptation fidèle du roman de Richard Adams, publié en 1972, scénarisée ici par l’auteur James Sturm.
Menacée par le développement immobilier et les modifications à leur habitat qui en découlent, une colonie de lapins doit décider de son sort : rester sur place quitte à mourir ou prendre le risque de partir en quête d’une nouvelle garenne.
Menés par Hazel et Fyveer, une poignée d’entre eux vont oser quitter la colline où ils ont toujours vécu, dans l’espoir de trouver un endroit sécuritaire où s’installer. Leur chemin ne sera pas sans embûches et rencontres de toutes sortes, puisque le danger rôde, sous et sur terre, comme dans le ciel.
À ce chapitre, les illustrations de Joe Sutphin sont aussi belles qu’efficaces. Elles nous font principalement vivre les mésaventures de la vaillante bande à hauteur de lapin, tantôt par des jeux de plongées et contre-plongées nous permettant de pleinement ressentir la menace d’un oiseau volant au-dessus d’eux, tantôt comme si nous avions nous-mêmes les yeux (et le nez) au ras du sol.

Les dessins de Joe Sutphin reflètent l’esprit du texte de Richard Adams et n’édulcorent pas la réalité parfois dangereuse du monde animal.
Photo : Radio-Canada / Valérie Lessard
Or, malgré les quelques traits physiques distinctifs que leur attribue Joe Sutphin, on met un peu de temps à bien discerner les protagonistes, rendant la lecture des premières pages moins fluide.
Par ailleurs, à l’instar de Richard Adams dans son texte, l’illustrateur n’édulcore pas la réalité parfois cruelle du monde animal. Sans être inutilement explicite, il rend toutefois compte de la nature sauvage de ses héros, de leurs ennemis
et de leurs comportements violents par moments, qu’ils soient mus par l’instinct de domination ou par celui de survie.
Au final, Watership Down se veut un hymne au courage nécessaire pour faire face à l’inconnu, que cet inconnu prenne la forme d’un visage étranger, d’une réorganisation de ses habitudes ou d’un ailleurs à découvrir, par choix ou par la force des choses.
C’est un vibrant hommage à la solidarité et au désir de vivre par-delà la peur du changement.
Bref, il s’agit d’une épopée certes dure et sombre, mais aussi chargée d’espoir et de toute la poésie des mots de Richard Adams, magnifiée ici par les dessins de Joe Sutphin.