Paru en premier sur (source): journal La Presse
(Paris) Les éditions Gallimard ont demandé vendredi la « libération » de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal après son « arrestation par les services de sécurité algériens », au lendemain d’une « disparition » évoquée par la présidence française.
Publié à 22 h 37
« Les éditions Gallimard […] expriment leur très vive inquiétude à la suite de l’arrestation de l’écrivain par les services de sécurité algériens et appellent à [sa] libération immédiate », écrit l’éditeur dans un communiqué.
Selon plusieurs médias, dont l’hebdomadaire français Marianne, l’écrivain de 75 ans en lutte contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme a été arrêté samedi à l’aéroport d’Alger, en provenance de France.
L’agence gouvernementale algérienne APS a également fait état d’une « arrestation » de l’écrivain « à l’aéroport d’Alger », sans toutefois donner de date.
Aucune autre information officielle n’a filtré sur son sort, dans un contexte de relations tendues entre Paris et Alger.
Selon Le Monde, les autorités algériennes pourraient avoir mal pris des déclarations au média français Frontières, réputé d’extrême droite, qui reprennent la position marocaine selon laquelle le territoire du pays aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie.
Il s’agirait d’une « ligne rouge » pour Alger, qui pourrait valoir à l’auteur des accusations d’« atteinte à l’intégrité nationale ».
L’entourage d’Emmanuel Macron a fait savoir jeudi que le président français était « très préoccupé par [cette] disparition », précisant que « les services de l’État sont mobilisés pour clarifier sa situation ».
« Son arrestation m’insupporte »
Plusieurs responsables politiques français ont aussi exprimé leur inquiétude, notamment l’ex-premier ministre Édouard Philippe qui estime que l’écrivain « incarne » notamment « l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme ».
Des auteurs ont également exprimé leur soutien comme le Français Nicolas Mathieu, qui a parlé de « piège », ou le Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun, qui a appelé à « libérer » M. Sansal.
« Son arrestation m’insupporte. La place d’un intellectuel est autour d’une table ronde, autour d’un débat d’idées, et non en prison », écrit son compatriote Yasmina Khadra dans un communiqué à l’AFP.
Dans l’hebdomadaire français Le Point, le Franco-Algérien Kamel Daoud dénonce le fait que son « frère » soit « derrière les barreaux, comme l’Algérie tout entière ».
Gallimard a été banni du Salon international du livre d’Alger cet automne. Kamel Daoud est également visé par deux plaintes en Algérie qui l’accusent, avec son épouse psychiatre, d’avoir utilisé l’histoire d’une patiente pour Houris, roman évoquant la guerre civile dans le pays et Goncourt (le plus prestigieux prix littéraire français) cette année.
L’agence de presse officielle algérienne APS a reproché vendredi à la France de prendre « la défense d’un négationniste qui remet en cause l’existence, l’indépendance, l’histoire, la souveraineté et les frontières de l’Algérie », le qualifiant de « pantin ».
Boualem Sansal est une grande voix de la littérature francophone contemporaine, auteur d’une œuvre engagée contre l’obscurantisme et pour la démocratie, sans tabou, parfois caustique.
Soupçons d’islamophobie
Né en 1949 en Algérie, d’un père d’origine marocaine et d’une mère qui a reçu une éducation à la française, il commence à écrire à 48 ans et publie son premier roman, Le Serment des Barbares, deux ans plus tard. Il y raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger l’Algérie dans une décennie de guerre civile ayant fait 200 000 morts entre 1992 et 2002.
Après avoir été enseignant, chef d’entreprise et haut fonctionnaire, il est limogé en 2003 du ministère de l’Industrie pour sa position critique contre le pouvoir, en particulier sur l’arabisation de l’enseignement.
En 2019, il participe à Alger aux manifestations qui conduisent à la démission du président Bouteflika.
Parmi ses titres, Le village de l’Allemand (2008), censuré dans son pays d’origine, invoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises.
Dans 2084, la fin du monde (2015), il dénonce la menace du radicalisme religieux sur les démocraties, en imaginant l’islamisme au pouvoir.
Ses mises en garde de l’Europe contre ce danger ont valu à cet athée revendiqué de solides inimitiés. Et le soutien d’intellectuels et de médias de droite et d’extrême droite, applaudissant ses déclarations sur un « ordre islamique » qui tenterait « de s’installer en France ».
En Algérie, les menaces ont redoublé depuis qu’il s’est rendu en Israël pour y recevoir un prix littéraire en 2014.
Boualem Sansal se défend inlassablement des soupçons d’islamophobie.
« Je n’ai jamais dit quoi que ce soit contre l’islam qui justifierait cette accusation », mais, « ce que je n’ai cessé de dénoncer, c’est l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques et sociales », expliquait-il à l’AFP en 2017.