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Un extrait Des coups de dés
Depuis douze ans, il répétait le même rituel, laissant un seul pari déterminer s’il monterait sur scène le vendredi soir. C’était comme tirer au sort. Un seul fichu cheval, pas deux, tous les sept jours. Dix dollars, pas de combine ; un jugement du destin. Ainsi donc, vingt-cinq minutes plus tard, aux abords du quartier, l’avenir de Theo demeurait irrésolu. Il frôlait les taxis, filait aux arrêts, doublait les piétons indifférents. Alors qu’il attendait à un feu de circulation, une femme arriva à sa hauteur sur un vélo de route vert avec une caisse de lait en plastique attachée à l’arrière. La caisse contenait un chaton, qui se tourna vers Theo en souriant. Miaou, fit-il.
— Miaou, murmura Theo en le saluant du doigt.
Cela lui rappela combien il aimait cette ville. Non pas les autoroutes et les grandes surfaces qui entouraient l’hippodrome, mais la beauté échevelée des vieux quartiers, les arbres robustes et les vitrines têtues, les escaliers en fer forgé, les habitants emmitouflés, même les rues criblées de trous. Des tenaces, tous autant qu’ils étaient, endurant un maudit hiver après l’autre. Il écrasa les freins de son vélo. Le chaton le dévisageait toujours. Lui, cette femme et son minou allaient bientôt monter la côte, croiser la tonnelle et le monument à Cartier, le parc bruni par les pluies excessives, pédaler avec peine, atteindre le sommet, puis redescendre. Des tenaces, songea-t-il encore.
Le feu tourna au vert et, comme prévu, ils montèrent, atteignirent le sommet