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Un extrait de Tableau final de l’amour
C’est durant la guerre que mon cerveau a gravé les images les plus intenses de ma vie : survivants, écrasés, paralysés, extirpés des gravats. Cadavres de chevaux aux ventres gonflés. Corps nus de mes amants, leurs blessures encore fraîches par lesquelles s’enfuyait leur espoir. Nuits de Londres zébrées d’éclairs dans la dévastation des bombes incendiaires. Montagnes de corps squelettiques poussés comme des déchets par des bulldozers dans d’immenses trous de terre.
Une fois la paix retrouvée, des photos et des films ont témoigné de l’impensable, l’ont mis à la portée des aveugles, des sourds, des bourreaux qui niaient avoir commis ces atrocités, n’ayant selon eux accompli que leur devoir.
Comment l’art pourrait-il oublier ces images ? Comment surtout pourrait-il demeurer de l’art s’il les utilisait ?
Devant l’horreur dont était capable tout homme, j’étais tourmenté par un désir brutal de vivre et un pessimisme suicidaire. Aucun dieu, aucune mystique, aucune foi ne pouvait m’aider, me soulager, m’orienter. L’homme se résumait à sa viande et, sans conteste, de toutes les créatures elle était la plus tragique. À mon habitude, j’avais découpé des photos dans les journaux : celles d’Hitler, de Goering et d’autres nazis notoires alors qu’ils faisaient la manchette, auréolés de terreur et de gloire. La bouche d’Hitler me fascinait : trou qui gueulait et où la haine pure prenait sa source pour se déverser dans des millions de jeunes cerveaux affamés. Cette bouche, je l’ai retrouvée des années plus tard dans mes papes hurlants, fusionnée à une autre