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Ces dernières années, la littérature jeunesse autochtone connaît un essor fulgurant au Québec, offrant aux jeunes lecteurs une porte d’entrée sur les richesses culturelles et les réalités des premiers peuples. De plus en plus d’autrices issues de ces communautés prennent la plume pour raconter des histoires ancrées dans leurs traditions, tout en abordant des thèmes contemporains tels que l’identité, le vivre-ensemble et la préservation des langues.
C’est le cas de Valérie Richer O’Bomsawin, de Joannie Gill et d’Océane Kitura Bohémier‑Tootoo, trois autrices autochtones qui ont récemment publié leur premier album destiné aux jeunes lecteurs. Le trio s’est retrouvé à Québec en novembre pour participer à une table ronde sur la littérature jeunesse d’aujourd’hui organisée par le Salon du livre des Premières Nations.
Dans son livre Nichemis, petit frère, Valérie Richer O’Bomsawin parle de filiation et de transmission à travers les mots tendres d’une enfant. Étant moi-même maman de deux enfants, je trouve cela important que les jeunes puissent apprendre sur leur propre culture
, raconte l’autrice abénakise d’Odanak.
Elle explique son désir de mettre en scène une narratrice qui raconte à son frère comment il est arrivé au monde avec ses propres mots et sa vision des choses. Son livre puise aussi dans son expérience personnelle. Je voyais ma plus grande devenir très protectrice envers son jeune frère, dit-elle. Elle est contente de lui montrer la danse de la plume, un rite de passage que l’on célèbre à Odanak. Chez nous, le rôle d’une grande sœur n’est pas à négliger.
L’ouvrage tendre de Valérie Richer O’Bomsawin fait écho à celui de Joannie Gill, Mikuniss, ma petite sœur, dont le titre s’inspire de l’histoire qui se cache derrière le prénom de sa fille. Je décris la belle complicité qui unit les deux sœurs. La grande attend la petite après l’école et, un jour, elle trouve le bon moment pour lui expliquer pourquoi elle s’appelle Mikuniss
, souligne l’autrice ilnue membre de la Première Nation des Pekuakamiulnatsh.
C’est la grande sœur qui narre, dans une immense bienveillance et à sa façon, l’histoire de la naissance de sa petite sœur. On entend des sonorités nouvelles, avec la prononciation de prénoms que les Québécois n’ont pas l’habitude d’entendre.

Le Salon du livre des Premières Nations propose une foule d’activités, dont des tables rondes sur des thèmes divers.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
De son côté, l’ouvrage Trouver la maison, d’Océane Kitura Bohémier‑Tootoo, s’adresse à des lecteurs plus âgés, de 9 à 12 ans. Dans son livre bourré d’intrigues et de surprises, il est question d’exploration et de voyage vers l’inconnu pour un jeune personnage en quête d’aventure.
L’histoire est venue tranquillement dans ma tête. Quand j’ai commencé à l’écrire et à dessiner le récit, ça m’a ramenée à mon enfance dans le Grand Nord
, indique l’autrice originaire d’Iqaluit, au Nunavut.
Celle qui est aussi artiste, dessinatrice et comédienne a fait part de sa fascination de l’immensité des territoires arctiques que l’on retrouve reconstituée dans son album richement illustré. J’ai toujours été impressionnée par l’idée d’être une aventurière dans la toundra. Je pense que plusieurs jeunes, notamment celles et ceux qui viennent du Grand Nord, peuvent facilement comprendre ce sentiment.
Il y a quelque chose de magique et de mystérieux dans l’immensité du territoire nordique que j’avais envie d’explorer dans mon livre.

L’Inuk Océane Kitura Bohémier‑Tootoo est l’autrice et illustratrice à l’origine du livre jeunesse « Trouver la maison ».
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Le thème de la transmission est crucial dans les trois livres. Chez Océane Kitura Bohémier‑Tootoo, il se traduit par un échange de savoirs traditionnels avec des personnages mythiques du Grand Nord. J’ai changé certains détails des créatures pour que les enfants puissent le lire sans avoir trop peur
, dit-elle en riant.
Les légendes qu’on lui racontait quand elle était jeune sont à l’image de la dureté de la vie dans les régions arctiques. J’avais envie de les partager, car ces récits où se mêlent magie et monstres fabuleux continuent de m’habiter profondément.
De la honte à la fierté
Valérie Richer O’Bomsawin rappelle que, dans un passé pas si lointain, il n’a pas toujours été bon pour un Autochtone de s’identifier comme membre d’une Première Nation. Son ouvrage Nichemis, petit frère se veut en quelque sorte une revanche sur l’histoire et une réappropriation d’une identité.
Je me souviens, enfant, que je disais que mon père était autochtone, mais pas moi. À l’époque de mes parents, ce n’était pas glorieux de se dire autochtone. Mon père a vécu de l’exclusion parce qu’il était Abénakis
, relate-t-elle.
Pour beaucoup d’entre nous, les traumatismes demeurent. Avec mon livre, je veux que mes enfants, et aussi tous les enfants autochtones du Québec, vivent ce qu’ils sont avec fierté, qu’il n’y ait plus jamais de honte.
Née à Mashteuiatsh, Joannie Gill a grandi auprès de sa communauté. Elle a réalisé sur le tard la richesse de son patrimoine. Elle raconte que le déclic est survenu quand elle est partie vivre à l’âge adulte pendant trois ans en Colombie-Britannique avec ses deux enfants.
C’est lorsque je me suis retrouvée à l’extérieur de ma communauté que j’ai réalisé ce qu’était ma culture. J’ai alors voulu rentrer chez moi, pour que mes enfants aient la chance de pouvoir grandir chez eux.
Pour sa part, Océane Kitura Bohémier‑Tootoo admet qu’elle ne connaissait pas grand-chose de la société québécoise jusqu’à l’âge de 8 ans. Je viens du Nunavut, dit-elle. Je me souviens à l’école francophone d’avoir demandé qui était Marie-Mai, et tout le monde avait été outré que je ne connaisse pas la célèbre chanteuse.
Pendant son enfance, elle a été nourrie de culture inuit. Son imaginaire a d’ailleurs été très tôt construit par les contes racontés lors des rassemblements familiaux.
C’est en déménageant au Québec que j’ai eu un choc culturel. J’ai ressenti une gêne d’être différente des autres. Je me suis fermée par rapport à ma culture originale, et c’est à l’adolescence que j’ai commencé à me questionner et à me poser des questions sur qui je suis.

La table ronde sur la littérature jeunesse d’aujourd’hui s’est avérée riche en confidences de la part des autrices autochtones.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Récits avec illustrations
L’autrice Joannie Gill a fait appel aux talents d’Amélie Courtois, artiste multidisciplinaire innue de Mashteuiatsh, pour mettre en images son livre. Au fil du projet, un véritable travail d’équipe s’est mis en place, précise-t-elle. Elle s’est inspirée des vrais lieux dans la communauté, comme l’école primaire et les paysages aux alentours avec en arrière-fond le Pekuakami, le nom du lac Saint-Jean en innu.
La forme d’inspiration est la même pour le livre de Valérie Richer O’Bomsawin, dont les dessins sont signés par Valérie Laforce, qui est originaire de Wôlinak. Les images sont toutes faites à partir du Ndakina, le territoire ancestral des Abénakis : On a eu l’idée ensemble d’ajouter des ronds dans chaque image parce que le cercle est un symbole crucial pour les Premières Nations.
Les personnages de l’album ne sont pas identifiés selon leur couleur de peau ou d’autres caractéristiques physiques. Je voulais que les jeunes lecteurs puissent s’identifier à travers un récit qui est, lui, bien ancré dans nos traditions autochtones.

L’album de Joannie Gill porte une attention particulière aux prénoms autochtones.
Photo : Radio-Canada / Ismaël Houdassine
Illustratrice à ses heures, Océane Kitura Bohémier‑Tootoo a imaginé ses propres dessins qui accompagnent son ouvrage coloré. Les images sont venues avant le texte. L’histoire s’est construite dans mon esprit comme un film
, mentionne-t-elle.
Les trois autrices ont en commun d’avoir publié un premier livre pour la jeunesse. Même si chacune voit son avenir dans le monde de l’édition d’une manière différente, toutes espèrent continuer de raconter des histoires qui mettent en scène des personnages issus des Premières Nations.
Je prépare un deuxième album qui sera publié, je l’espère, en 2025. Même si ce n’est pas le prolongement de mon premier livre, le prochain opus se veut aussi une histoire d’un autre prénom traditionnel issu d’autres Premières Nations
, conclut Joannie Gill.