Paru en premier sur (source): journal La Presse
Le 27 novembre 2024, le poète et éditeur Jean-Sébastien Larouche se donnait la mort. À l’occasion d’un hommage qui lui sera rendu ce samedi à Montréal, son ami Carl Bessette raconte comment son œuvre a ragaillardi une poésie québécoise qui en avait bien besoin.
Publié à 13 h 00
Au bout de fil, Carl Bessette me parle de son ami Jean-Sébastien Larouche, parti trop tôt à 51 ans, et Carl Bessette rit, parce que l’affection qu’il lui inspire encore, malgré son absence, l’emporte sur la détresse.
« Pendant douze ans, on était tellement tout le temps ensemble que ma blonde l’appelait ma maîtresse », lance-t-il en s’esclaffant. « Et elle ajouterait probablement qu’il y a eu des moments où on ne savait plus qui était la légitime et qui était la maîtresse. »
En tant que cofondateurs des Éditions de l’Écrou, Bessette et Larouche ont transformé à partir de 2009 la poésie québécoise, en la tirant du côté de l’oralité, du rire et du quotidien, et en lui insufflant par le fait même une salutaire accessibilité. Certains diraient aussi une urgence. Une vérité.
PHOTO MARYSE BOYCE, FOURNIE PAR CARL BESSETTE
Jean-Sébastien Larouche lors d’un spectacle des Éditions de l’Écrou
La création de cette grande petite maison représentait l’aboutissement d’un long travail pour Jean-Sébastien Larouche qui, depuis les années 1990, brassait la cage d’un milieu qu’il jugeait trop sage, en multipliant les performances durant lesquels sa véhémence s’apparentait à celle du chanteur d’un band, et faisait instantanément voler en éclats tous les préjugés que charrie, à tort ou à raison, la poésie.
Mais après avoir fait paraître coup sur coup chez Lanctôt éditeur Le pawn shop de l’enfer (1997), Rose et rasoir (1998) et Dacnomanie (2000), le poète avait un peu perdu espoir et avait préféré diriger ses énergies vers sa job de malteur chez Canada Malting.
« Quand il a commencé, il n’y avait pas beaucoup de poètes comme JS qui déménageaient dans les soirées de lecture, explique Bessette. C’était lourd pour lui d’être tout le temps un peu un outsider, de se faire dire “C’est le fun, ce que tu fais, mais ce n’est pas de la vraie poésie.” »
Le droit d’exister
Sa rencontre avec le grand Carl, son cadet d’une décennie, réveillera sa conviction qu’une autre poésie était encore possible. C’était en 2007 lors d’une soirée de lecture dans un bar du Vieux-Montréal. Carl raconte.
PHOTO FOURNIE PAR CARL BESSETTE
Avec Carl Bessette en 2009
« JS fait son texte et là, je capote. Je m’en vais tout de suite voir un des organisateurs et je lui demande : “Où est-ce que vous l’avez trouvé, lui ?” Il m’avait répondu : “Lui, oublie-le. Il travaille dans une shop, il ne veut plus rien savoir de rien. Tu n’arriveras jamais à faire quoi que ce soit de bon avec lui.” »
Ce qui aurait difficilement pu être plus faux. Aussi bien en tant que poète qu’en tant qu’éditeur, Jean-Sébastien Larouche aura contribué à l’avènement d’une génération d’auteurs et d’autrices qui ont superbement bouleversé les codes de la poésie québécoise, parmi lesquels Daphné B., Marjolaine Beauchamp, Baron Marc-André Lévesque, Jean-Christophe Réhel et Maude Veilleux.
Ce que la poésie de JS a fait de plus important, c’est qu’elle a dit à des dizaines de dizaines de poètes qui aujourd’hui sont incontournables : vous avez le droit d’exister. Vous n’avez pas à vous conformer.
Carl Bessette
Une intégrité sans bornes
Depuis sa mort tragique, plusieurs poètes et amis ont salué l’inoxydable droiture de Jean-Sébastien Larouche, un cœur immense, dépositaire de la vraie tendresse de ceux qui ont parfois l’air un peu farouches.
Son intégrité était à ce point sans bornes que maintenant, si j’ai le moindrement un dilemme éthique, je ne vais pas me demander c’est quoi la bonne chose à faire, je vais me demander : qu’est-ce que JS ferait ?
Carl Bessette
« On a beaucoup dit que c’était un punk, poursuit-il, mais c’était un vrai punk, dans le sens de quelqu’un qui n’a jamais accepté l’état du monde. Pour lui, ce n’était pas normal, pas tolérable que des gens souffrent. Toute sa vie, ça l’a perturbé. »
Entouré d’amour
Depuis la fin des Éditions de l’Écrou en 2021, les deux livres de Jean-Sébastien Larouche qui y sont parus – l’anthologie de ses trois premiers recueils Avant qu’le char de mon corps se mette à capoter (2009) et Des longueurs dans le Styx (2018) – étaient introuvables. Ils seront repris cet automne chez Hurlantes éditrices dans un vaste volume regroupant tous ses poèmes, ainsi que plusieurs inédits, dont ceux d’un manuscrit inachevé.
En janvier 2024, Carl Bessette a réussi tant bien que mal à traîner son chum dans une soirée de lecture au mythique Bistro de Paris, ce qui demeurera son ultime performance à vie. Chaque fois qu’il participait à un évènement du genre, Carl lançait une invitation à JS, question de tenter de l’arracher quelques instants à cette dépression avec laquelle il partageait son appartement depuis 2018.
« Et ce soir-là, au Bistro, il a fait un texte et comme d’habitude, tout le monde a capoté. Quand il est revenu s’asseoir, il m’a dit : “C’était la dernière fois que je lisais en public.” »
Le titre de ce poème, qu’on pourra entendre ce samedi soir lors de l’hommage qui lui sera rendu : Tu le sais ben que tu vas mourir tout seul. « Sauf que moi, ajoute Carl, tout ce que j’entends quand je lis ce texte-là, c’est un gars qui essaie de se convaincre lui-même. Il se sentait peut-être tout seul, mais il n’était pas tout seul. Il était entouré d’amour. »
Hommage à Jean-Sébastien Larouche, ce samedi à 19 h à la Sala Rossa