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Tomson Highway, dramaturge, romancier et auteur-compositeur cri, est l’un de ces rares écrivains capables de capturer l’immensité et la beauté de son territoire et de ses habitants de manière juste et lumineuse. Dans son récit Éternel émerveillement (Prise de parole), il revient sur son enfance heureuse dans le nord du Manitoba. La traduction de l’anglais par Charles Bender et Jean Marc Dalpé a su capter le rire éclatant et le regard malicieux de l’auteur, restituant ainsi sa voix unique.
L’émerveillement imprègne le récit de Tomson Highway, malgré les épreuves qui jalonnent son parcours. En tant que traducteur, comment avez-vous cherché à préserver cette perspective lumineuse dans la version française ? Quels défis ou quelles opportunités cette tonalité a-t-elle soulevés dans votre travail ?
Préserver la lumière dans un texte de Tomson Highway, ce n’est pas quelque chose de difficile, c’est quelque chose d’essentiel, car c’est incontournable. Même dans les moments plus sombres de son récit, l’auteur transforme souvent la situation en blague ou en anecdote amusante. Avant tout, il envoie un grand message d’amour aux gens qu’il a croisés et qu’il nomme dans son texte. Du prêtre du pensionnat aux intimidateurs de son enfance, il trouve toujours le moyen de leur offrir de l’amour et de la compassion. C’est son profond optimisme qui brille dans son écriture. Son rire est rempli d’amour.
La joie et le rire, si présents dans l’œuvre de Tomson Highway, traversent aussi le texte que vous avez traduit. Comment avez-vous réussi à transposer ces émotions en français tout en restant fidèle à leur intensité et à la singularité de la langue crie, qu’Highway qualifie de « la plus drôle et la plus rapide au monde » ?
En plus de penser en cri, d’écrire en anglais et d’utiliser une syntaxe qui se rapproche du français, Tomson écrit de très longues phrases, découpées en plusieurs idées différentes qui nous apportent par un chemin détourné vers le punch final. Son texte est un Trickster : il ne se contente pas de jouer avec les mots, il se laisse surprendre par eux. Chaque fois qu’il nous propose quelque chose, on a l’impression qu’il est lui-même étonné par ce qu’il écrit. Cette surprise partagée est ce qui provoque le rire, car on a l’impression que, s’il ne sait pas où il va, il va tout de même nous surprendre avec une chute drôle et lumineuse. Il n’y a jamais rien de grave, tout est prétexte à s’amuser. Lorsqu’on le traduit, il faut accepter de se laisser surprendre et de rire avec lui, car le rire est l’essence même du texte.
En tant que membre d’une Première Nation autochtone, comment votre propre identité a-t-elle influencé votre approche de la traduction d’Éternel émerveillement ? Avez-vous ressenti une connexion particulière avec certains passages ou thèmes du livre en raison de votre propre expérience ?
J’ai une idée précise du public auquel je m’adresse, car je connais des personnes qui ressemblent aux personnages de Tomson Highway. Quand ils parlent ou rient, j’entends le rire de gens que je connais. C’est même lorsque ce rire résonne dans ma tête que je sais avoir bien capté l’humour de Tomson. Ce qui est important pour moi, c’est de toucher des personnes précises et de leur faire entendre les mots de façon aussi authentique que si elles lisaient en anglais, la langue coloniale. En traduisant en français, j’imagine ces gens dans leurs communautés et j’espère qu’ils riront autant que moi ou que n’importe qui d’autre en lisant le livre. Mon but est qu’ils accèdent à la lumière et à l’humour de Tomson Highway comme s’il leur parlait directement.
Vous avez cotraduit ce livre avec Jean Marc Dalpé. Comment s’est déroulé ce travail à quatre mains ? Quelles perspectives distinctes ou complémentaires avez-vous apportées chacun à la traduction ?
Je crois que nous avons tous les deux apporté une dimension unique à ce texte. Nos voix combinées ont permis de créer un personnage de Tomson à la fois complexe et multiforme, ce qui se rapproche davantage de la réalité. Travailler ensemble nous a également aidés à éviter les angles morts, car nous nous mettions constamment au défi l’un l’autre. Notre objectif, en fin de compte, était de surprendre agréablement le lecteur avec chaque chute. En traduisant ensemble, nous avons pu nous provoquer, nous surprendre mutuellement, ce qui a rendu le travail non seulement agréable, mais aussi particulièrement pertinent.
©Photo : Brad Gros Louis