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Chimamanda Ngozi Adichie | Ces femmes qui osent rêver

Paru en premier sur (source): journal La Presse

On l’accueille comme une superstar partout où elle va, des émissions de fin de soirée américaines au très couru Met Gala, forte du succès planétaire de ses romans, dont Americanah. Avec son nouveau titre, L’inventaire des rêves, l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie raconte les désirs entrelacés de quatre femmes, entre amour, carrière, famille et ambitions. Nous l’avons jointe aux États-Unis, où elle vit à mi-temps.


Publié à 8 h 00

Vous avez écrit en 2021 l’essai personnel Notes sur le chagrin, après la mort de votre père ; vous confiez à la fin de L’inventaire des rêves que ce roman est né de la disparition de votre mère, survenue peu après. A-t-elle inspiré les personnages de femmes fortes qui sont au cœur de l’histoire ?

Ma mère était une femme remarquable et intéressante, mais je ne pense pas avoir consciemment cherché à modeler mes personnages sur elle. Si elle n’était pas morte, je sais que j’aurais écrit un livre différent parce que sa perte m’a changée. Je me souviens d’avoir pensé que je ne voulais pas écrire un livre sur le deuil ; mais en fin de compte, c’est quand même le cas.

Le roman tourne autour de la vie de quatre femmes fortes et indépendantes, toutes originaires de l’Afrique de l’Ouest et qui se posent à un certain moment de leur vie aux États-Unis. Leurs rêves sont très différents, même si elles sont tout aussi déterminées à les atteindre. Qu’ont-elles en commun ?

Chacune d’entre elles ose rêver, désirer. Elles possèdent une certaine conscience de soi que tout le monde n’a peut-être pas. Pas toutes les personnes qui le méritent voient leurs rêves se réaliser. Mais on peut faire le choix de rêver et persister, même si ça n’a pas beaucoup de sens d’entretenir certains rêves. C’est ce que je trouve intéressant et même très beau.

Y a-t-il un peu de vous dans le personnage de Chiamaka, dans sa passion pour l’écriture et son désir d’en vivre – qui la pousse d’ailleurs à s’installer aux États-Unis pour mener sa vie comme elle l’entend ?

Je pense qu’il y a une part de moi dans tous mes personnages, mais certains personnages ont des parts plus importantes [rires].

Sa cousine, qui mène une brillante carrière au Nigeria, l’appelle d’ailleurs « Chia, l’Américaine » parce qu’elle pense et réagit différemment, à son avis, depuis qu’elle vit aux États-Unis. À partir de quel moment cesse-t-on d’appartenir à son pays d’origine ?

Je pense que cela dépend de qui le dit. Parfois, c’est presque une façon de vous dire : vous êtes allé dans un nouvel endroit, votre vie semble différente et, d’une certaine manière, meilleure, par conséquent, je ne vous permettrai plus de revendiquer ce que nous avons en commun. J’ai toujours pensé personnellement que l’entre-deux est une identité. […] Ma sensibilité est nigériane et je ne me considère pas comme une immigrante ; je me considère comme une Nigériane qui passe beaucoup de temps aux États-Unis. En même temps, je sais que l’Amérique fait partie de moi et je sais aussi que je deviendrais folle si je devais vivre de façon permanente dans l’un ou l’autre de ces pays [rires].

Dans L’inventaire des rêves, vous abordez des questions que vous avez explorées notamment dans Americanah – ce fossé qui existe entre les Afro-Américains et les Africains qui ont émigré aux États-Unis –, avec le personnage de ce professeur afro-américain qui raconte des blagues sur le fait que la famille de Chiamaka n’est pas une vraie famille africaine parce qu’elle n’est pas pauvre, ou que les ancêtres de la jeune femme ont probablement vendu les siens… Ces stéréotypes ont-ils encore la vie dure aux États-Unis ?

C’est un débat controversé et complexe, qui met les gens mal à l’aise. Il a lieu dans les marges. Et j’ai l’impression que c’est le genre de sujet difficile que la littérature peut aborder. Il y a beaucoup d’incompréhension mutuelle entre les deux communautés. Je pense que les Africains et les Afro-Américains sont des frères et sœurs séparés très tôt ; ils ont grandi différemment, mais ils ont toujours des liens très forts. Beaucoup d’Africains arrivent aux États-Unis et ne connaissent pas grand-chose à l’histoire américaine. Ils se retrouvent donc très souvent à répéter les stéréotypes qu’ils entendent sur les Afro-Américains. Je me souviens qu’à mon arrivée aux États-Unis, j’entendais souvent dire que les Afro-Américains vivent dans des quartiers défavorisés parce qu’ils sont paresseux. Puis quand j’ai commencé à lire sur la politique du logement aux États-Unis, sur le redlining, ça m’a ouvert les yeux. Je me suis dit : comment se fait-il que ce ne soit pas mieux connu ? D’un autre côté, de nombreux Afro-Américains se sentent insultés d’être appelés des Africains ; c’est synonyme de honte. Pour moi, il faut vraiment entamer un dialogue.

Les États-Unis ont-ils beaucoup changé depuis que vous y vivez ?

Absolument. Politiquement, bien sûr, car le pays est désormais aux prises avec un gouvernement clairement autoritaire – alors que les citoyens en général pensent que l’autoritarisme est quelque chose qui se produit ailleurs. Personnellement, j’ai été un peu déroutée par ce qui m’a semblé être une réponse discrète à cet autoritarisme rampant. Je me souviens de m’être demandé pourquoi personne ne fait rien. Mais je pense que c’est parce que les gens étaient stupéfaits, ils n’arrivaient pas à y croire, car dans leur imagination, ce n’est tout simplement pas l’Amérique. Mais je pense que les choses changent et que cela changera dans les mois à venir. Les gens commencent à trouver leur voix et à adopter une stratégie pour réagir et résister.

L’inventaire des rêves

L’inventaire des rêves

Chimamanda Ngozi Adichie (traduit de l’anglais par Blandine Longre)

Gallimard

656 pages

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Chimamanda Ngozi Adichie (traduit de l’anglais par Blandine Longre) L’inventaire des rêves

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