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Dans Clémence, encore une fois, un beau livre qui sera lancé jeudi, Mario Girard rend hommage à la légendaire auteure, chanteuse et comédienne. Le journaliste met aussi en lumière la femme sensible, attachante et espiègle. La Presse a joint notre Clémence nationale chez elle, vendredi dernier, dans une belle conversation téléphonique, entrecoupée par l’arrivée de ses deux chats… Grujot et Délicat !
La Presse : Mario Girard dédie ce livre « aux jeunes auteurs, comédiens, humoristes et chanteurs » pour qu’ils sachent que « Clémence a débroussaillé le sentier avant eux ». Comment se sent-on lorsqu’on nous dit qu’on est la pionnière de l’humour au Québec ?
Clémence DesRochers : C’est très flatteur. Or, je sais fort bien que la jeune génération ne me connaît pas. Ça arrive parfois que ma face leur dise quelque chose… Comme m’a lancé ce jeune employé d’Hydro, venu chez moi l’autre jour. Tant mieux si le livre peut aider à faire découvrir mon œuvre aux plus jeunes.
Vous êtes une femme de mots, de scène et de plateau. Avec des milliers de spectacles, de tournées et d’émissions de télévision. Durant 50 ans, Clémence a été dans l’œil du public, dans l’amour du public. Est-ce que le tourbillon de la vie publique vous manque aujourd’hui ?
Oui, je me sens [un temps]… c’est difficile à remplacer. Tu es devant 800, 1000 personnes qui sont là pour toi, avec toi ; elles t’applaudissent quand tu arrives seule sur scène. Parfois, je sortais en coulisses et revenais leur demander un deuxième « accueil d’amour ». Durant deux heures, tu réussis à emmener des gens de différents milieux, avec leurs états d’âme, dans ton monde. C’est merveilleux ! Il n’y a pas grand métier qui arrive à faire ça. Mais vous savez, on devient artiste parce qu’on a un besoin maladif d’amour.
Au début de votre carrière, vous travailliez dans un monde uniquement masculin, ou presque. Vous avez collaboré avec les Jacques Normand, Raymond Lévesque, Paul Buissonneau, Claude Léveillée, Jean Besré, Jean-Pierre Ferland, Yvon Deschamps… J’imagine que c’était difficile de prendre sa place, pour une femme, dans ce « boys club » ?
Non, ça ne me dérangeait pas du tout le fait d’être la seule fille dans Les Bozos, par exemple. D’ailleurs, il n’était pas question de garçons ni de filles ; on voulait juste monter un bon show. Et j’arrivais en répétition avec mes textes. Mon matériel pouvait être plus fort que celui des gars. Il y en avait bien quelques-uns qui me faisaient la cour, mais ça ne pognait pas tellement (rires). Mais j’ignorais mon orientation sexuelle à cette époque-là…
PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
En novembre 2021, lors du spectacle Quand on aime, on a toujours 20 ans, avec Jean-Pierre Ferland, Yvon Deschamps et Louise Latraverse, à la salle Wilfrid Pelletier de la Place des Arts
PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE
En spectacle, sur la scène du Gesù, à Montréal, en 2008
PHOTO LAURENCE LABATT, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE
Dans son nouveau livre, Mario Girard retrace avec sagacité le parcours exceptionnel de Clémence DesRochers.
PHOTO ANDRÉ LE COZ, ARCHIVES RADIO-CANADA
Avec Denise Pelletier et Richard Martin dans le feuilleton télé La côte de sable
PHOTO HENRI PAUL, ARCHIVES RADIO-CANADA
À l’époque du cabaret Chez Bozo, à Montréal. Clémence était la seule femme du groupe.
PHOTO ANDRÉ LE COZ, ARCHIVES RADIO-CANADA
Clémence avec son père, le poète Alfred DesRochers, à l’émission Jeunesse oblige, en 1966
PHOTO RONALD LABELLE, FOURNIE PAR LE GROUPE FIDES
Avec Gilbert Chénier et Yvons Deschamps en 1965, pour la revue musicale On l’prend pas
Le livre consacre un chapitre à votre belle histoire d’amour avec Louise Collette, qui dure depuis 1968. Par contre, vous avez toujours refusé les étiquettes, comme féministe, lesbienne, homosexuelle… Vous dites, dans le livre, « je ne suis pas lesbienne, j’aime Louise ». Pourquoi refuser les étiquettes ?
Parce que je suis une femme libre avant tout. Comme mon père [le poète Alfred DesRochers] me l’a appris : « Ta vie, c’est à toi ! », disait-il. Je ne veux pas qu’on me dise que je suis ci, que je suis ça. J’ai cessé d’aller à l’église parce que les curés nous disaient quoi faire. J’ai détesté l’école parce que les religieuses traitaient les filles toutes pareilles, en nous alignant en rangs serrés.
Que pensez-vous du militantisme dans la société actuelle ? La lutte pour la diversité, entre autres, au sein de la communauté LGBTQ+ ?
Ça ne me ressemble pas du tout. Je suis peut-être égoïste, mais la politique ne m’intéresse pas. En même temps, je respecte les causes et les combats des autres. J’ai connu une femme qui a changé de sexe, ça m’a étonnée ! Mais je sais que ça vient d’une souffrance, d’un besoin profond. Je ne peux pas juger. C’est leur vie.
Parmi toute votre œuvre (chansons, disques, poèmes, monologues), qu’est-ce qui vous rend le plus fière ?
D’avoir écrit Deux vieilles. C’est Pauline Julien, voilà très longtemps, qui m’avait proposé de faire une chanson sur l’amour entre deux femmes. Mais j’avais peur de la réaction du public. J’ai mis beaucoup d’années avant de l’écrire. J’ai attendu que la mère de Louise ne soit plus là parce qu’elle