Image

Critique de Cap à rien | Ça s’appelle l’amour et ça appartient à tout le monde

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Dans Cap à rien, le récit d’un séjour en Louisiane, J. P. Chabot célèbre ce qu’il reste de résistance dans le geste révolutionnaire d’aimer.


Publié à 9 h 30

En octobre 2024, J. P. Chabot lançait Voyage à la villa du jardin secret, un livre qui fera date dans l’histoire de la littérature québécoise. Écrit avec l’aide d’Audrey-Ann Bélanger, son amie qui vit avec l’ataxie de Friedreich, ce roman décrit le banal et l’extraordinaire du quotidien des personnes handicapées, avec une justesse évacuant tout à la fois les fâcheuses idées reçues et les lieux communs bien intentionnés.

De retour après même pas un an, le Rimouskois décrit Cap à rien comme une portion retranchée de son précédent livre, puis « remaniée par son auteur afin de la rendre utile et agréable ». Alors qu’ils ne sont encore qu’aux aurores de leur amour, un prof de cégep au statut précaire et une libraire se poussent pour la Louisiane à bord d’une Pontiac Wave 2006 surnommée Rossinante. Dans leurs bagages : un exemplaire de Lolita, un CD gravé de Power, Corruption & Lies de New Order ainsi que le désir de, pendant quelques mois, « réclamer cet infime morceau de [leurs] existences aux damnations du salariat, de la routine, de l’ennui ».

Profondément digressif, Cap à rien se déplie en une succession de parenthèses et de gloses érudites (et souvent drôles), cependant que son narrateur ausculte le malaise que nourrit en lui l’œuvre de Nabokov, offre sa propre lecture de l’histoire du peuple cadien ou décrit ce qui distingue la version de Luke Combs de Fast Car de l’originale de Tracy Chapman (de brillantes pages de journalisme musical).

Présenté sous une forme pastichant le genre littéraire des « relations », ce récit de voyage dessine aussi en creux une réflexion protéiforme sur cette chose insaisissable communément appelée l’Amérique. Une Amérique de paradoxes, dans la marge de laquelle il est peut-être encore possible de s’imaginer une vie réfugiée du conformisme, et qui, dans cette même marge, laisse tant de gens subir des destins de souffrances.

Mais à l’instar de Voyage à la villa du jardin secret, qui célébrait le pouvoir révolutionnaire de l’amitié, cet espace dégagé de la nature transactionnelle ou obligatoire de tant d’autres types de liens entre humains, Cap à rien chante ce que l’amour est capable d’arracher à la tristesse, à la violence, à l’absurde. Ou, pour reprendre les mots de New Order dans Thieves Like Us : ça s’appelle l’amour et ça appartient à chacun de nous.

Cap à rien

Cap à rien

J. P. Chabot

Le Quartanier

252 pages

8/10

[...] continuer la lecture sur La Presse.

Palmarès des livres au Québec