Paru en premier sur (source): journal La Presse
« C’est rendu rare que je me lave. Ça arrive surtout les matins comme aujourd’hui, ceux où c’est plus négociable, ceux où je dois impérativement chasser les vapeurs de putréfaction qui s’échappent de mes pores. »
Publié hier à 13 h 00
Les premières pages de La mère des larves révèlent déjà tout le désespoir dont sera teinté le roman de Maude Jarry. Mais elles laissent aussi deviner que l’humour grinçant de l’autrice nous rattrapera tout au long comme un profond filet de pêche dans les abysses.
Sarah, la protagoniste, n’a plus de chum. Gabriel l’a laissée parce qu’il souhaitait avoir des enfants, ce qui n’est pas son cas, malgré ce que sa mère donnerait cher pour croire. Comme si ce n’était pas suffisant, des douleurs abdominales l’assaillent sans prévenir et tous les chats qui croisent son passage l’attaquent dorénavant systématiquement – le comble, se dit-on, pour une technicienne en santé animale.
Maryse, la matriarche, ne laisse pas sa place non plus au rayon des nuisances. En proie à une foi fanatique, elle ne se fait pas prier pour exercer une pression malsaine sur sa fille nullipare. On se plaît à détester ce personnage un peu délirant qui incarne bien l’absurde injonction à la maternité.
Réflexion autour de ces diktats, mais aussi d’un système de santé qui fait parfois violence aux femmes, le récent roman de Maude Jarry est un cri de révolte sous forme de tragicomédie, une épopée féministe à travers quelques mois dans la vie de Sarah, essentiellement entourée de sa mère, de sa grand-mère et de sa sœur.
Je fixe le plafond et me concentre sur ma respiration, je m’agrippe au matelas, y enfonce mes ongles. Je sens l’instrument tourner contre mon col pour égrener mes cellules malpighiennes. Je sens la brosse me gratter l’intérieur, jusque dans les os de ma mâchoire.
Extrait de La mère des larves
La jeune autrice s’était fait remarquer avec son recueil de poésie aux accents trash paru en 2019, Si j’étais un motel j’afficherais jamais complet, et on reconnaît dans ce premier roman le côté gore de son style, qui brille tout particulièrement dans une interminable scène d’examen gynécologique. À la fois jouissif tant il est habilement ficelé, mais douloureux tant il est familier, cet extrait laisse la sensation de s’être fait arracher un secret bien enfoui dans la chair.
L’ampleur narrative de La mère des larves donne toute la mesure du talent de son autrice et s’impose comme une œuvre audacieuse qui mêle avec brio l’horreur corporelle, la critique sociale et l’humour noir. Un livre qui, de surcroît, est appuyé par une recherche phénoménale. C’est tout un savoir anatomique qui se met au service de la métaphore dans ce livre que signe celle qui est aussi diplômée en thanatologie.
Ce premier roman brûlant d’actualité a la verve d’une œuvre coup-de-poing. Il secoue en explorant les façons dont les femmes peuvent se soutenir et se guérir lorsque le système médical les abandonne et, surtout, en rappelant avec force que le personnel est toujours politique.

La mère des larves
Les Éditions de Ta mère
376 pages