Paru en premier sur (source): journal La Presse
« Qui suis-je pour ajouter une brique à cette montagne déjà impressionnante ? », se demandait Stéphane Lafleur au micro d’Émilie Perreault à l’émission Il restera toujours la culture il y a quelques semaines.
Publié le 10 mai
Celui qu’on connaît d’abord pour son œuvre musicale (Avec pas d’casque) et cinématographique (Viking, Tu dors Nicole) parlait ainsi du vertige qui a accompagné ses premiers pas en poésie. On ne peut que le remercier d’avoir osé cette incursion en terrain inconnu malgré tout.
Dans Poudre à danser – titre qui évoque un produit rétro à saupoudrer sur les planchers pour faciliter les valses –, Stéphane Lafleur propose une poésie délicate, faite de bribes de sagesse desquelles parsemer le quotidien.
Profondément ancré dans nos vies contemporaines, ce premier recueil s’attarde aux textures de l’ordinaire. Fidèle au style épuré qu’on lui connaît, l’auteur manie l’économie de mots avec précision. Stéphane Lafleur ne cherche pas l’effet, mais la justesse. Chaque poème, court arrêt sur image, est un geste d’attention posé sur la banalité, éveillant tranquillement chacune des lames de l’éventail de nos sensibilités.
C’est une poésie qui prend son temps, qui refuse l’urgence, allégeant le pas et rendant le chaos un peu plus habitable. On y sent un désir de mouvement, mais aussi une nécessité d’adoucir les surfaces pour ne pas s’y blesser.
Tu collectionnes les échardes
et les coups de poing au ventre
tellement peur de t’endormir au volant
d’une trajectoire civilisée
ça ou toujours vouloir
avoir raison
Extrait de Poudre à danser
Ce qui distingue la voix de Lafleur, c’est cette capacité rare à faire coexister humour et tristesse, osciller entre autodérision et mélancolie avec une grâce qui n’appartient qu’à lui. Elle témoigne d’une lucidité tendre et d’un refus du cynisme au profit d’une ironie douce.
Dans Poudre à danser, les poèmes se déploient comme des instantanés où le banal et le profond s’enlacent, où les détails les plus insignifiants deviennent porteurs de vérités existentielles. Certaines images se déposent en nous comme des réverbérations discrètes dans une pièce vide. C’est une littérature à déguster, qui gagne en intensité à chaque relecture.
Il y a dans l’image de la poudre à danser quelque chose de profondément révélateur de notre condition : nous cherchons tous à « lubrifier » le réel pour le rendre plus navigable, tout en sachant que les frictions sont inévitables.
La quotidienneté est universelle, nous raconte ce recueil. Elle est ce terrain commun sur lequel chacun peut reconnaître ses propres hésitations, ses maladresses, ses envies de fuir ou de recommencer. Mais, malgré tout, continuer à giguer.
Par cette première exploration de la poésie, Stéphane Lafleur nous offre un miroir de nos existences, un prisme à travers lequel observer les reflets changeants de nos jours ordinaires. Et c’est peut-être là le plus grand cadeau que puisse nous faire un poète : nous apprendre à redécouvrir ce que nous croyions connaître, à saupoudrer de beauté les planchers usés de nos vies.
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