Image

Dans la bibliothèque de Michèle Audette : l’ancrage innu



 

Tout lire sur: Radio-Canada Livres

Source du texte: Lecture

Michèle Audette l’avoue sans détour : elle a de la difficulté à lire des livres. Pourtant, sa maison familiale, à , regorge de livres sur divers thèmes qu’elle a lus et dont elle se souvient très bien. Ceux sur sa nation innue prédominent clairement. Que ce soit dans ses oreilles ou sous ses yeux, ces livres sont là pour mieux comprendre d’où elle vient afin de savoir où elle va.

La sénatrice partage son temps entre Ottawa et Québec, mais pour parler de livres, c’est dans son shaputuan qu’elle nous accueille. Son bureau ensoleillé est aussi un atelier de création où perles multicolores, ciseaux, fourrures et rapports divers se côtoient. Ça ne pourrait pas être le bureau s’il n’y avait pas de perles. Les perles me parlent, me rassurent et font partie de ma vie, précise-t-elle.

Au premier coup d’œil dans cette pièce, on voit un rapport sur la stérilisation forcée, des livres de droit, des ouvrages sur la Constitution du et sur les femmes ainsi que, surtout, beaucoup de livres sur les Innus.

C’est mon école pour apprendre sur ma nation et pour avancer dans la vie. Car plus on se connaît, plus l’ancrage est solide et plus il est facile de traverser les tempêtes de notre ou du monde très colonial. Si je suis bien ancrée, je reste droite. Je plie, mais je ne casse pas.

Une citation de Michèle Audette, sénatrice

Cette Innue originaire de Mani-utenam, près de Sept-Îles, confesse qu’elle a beaucoup de difficulté à lire. Elle s’en est d’ailleurs voulu longtemps, se demandant pourquoi les gens pouvaient lire facilement, mais pas elle. Avec le temps, elle a lu des choses lourdes : projets de loi, mémoires, rapports.

Et tranquillement, j’ai commencé à avoir une relation avec le , le voyant comme étant un nomade lui aussi. Il va faire partie de ma vie pendant une période pour venir m’enseigner quelque chose que je n’ai pas pu apprendre à l’école ou qu’on ne m’a pas appris. Maintenant, les livres sont précieux.

Les petits cadeaux des livres audio

Certains sont terminés, d’autres commencés, mais grâce aux livres audio, Michèle Audette a trouvé une solution qui lui convient parfaitement, non seulement pour fréquenter des livres quand elle voyage entre Ottawa et Québec ou dans les communautés mais aussi quand elle perle.

Elle sort son téléphone et ouvre l’application Ohdio. Aussitôt, l’écoute du livre Le premier arbre de Noël d’Ovila Fontaine, un Innu de Uashat mak Mani-utenam, reprend. Il est lu par une autre Innue, Sharon Fontaine Ishpatao. La fierté d’entendre la voix et les histoires des siens est notable, d’autant plus qu’elle ne savait pas que cet homme qui vient de recevoir le prix du Gouverneur général écrivait.

Michèle Audette aime bien les livres audio, mais elle se procure aussi les versions imprimées des livres qui l’ont marquée.

Photo : -Canada / -Laure Josselin

Les livres audio sont comme de petits cadeaux. Elle cite Le peuple rieur : hommage à mes amis innus de Serge Bouchard, qu’elle avait commencé en version imprimée. Mais elle ne pouvait pas enfiler des perles et lire en même temps. Et elle ne voulait pas faire ce choix : négliger le perlage ou tasser des lectures qui sont de la guérison.

Elle achète aussi les versions imprimées des livres importants afin de pouvoir les annoter et retrouver des passages formateurs pour elle ou puissants pour faire de la pédagogie au Sénat, dans une conférence ou lors d’un débat.

Michèle Audette confectionne un gant sur une table où se trouvent des perles.

En écoutant des livres audio comme « Le peuple rieur », qui dure huit heures, Michèle Audette a amplement le temps de terminer la confection de son gant brodé tout en apprenant davantage sur son peuple.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Dans sa sélection audio se trouve aussi La prière de l’épinette noire, un autre livre de Serge Bouchard, dont elle aime l’écriture simple. Il y a plusieurs livres lus par l’artiste anishinabe Samian ou encore Akuteu, écrit et lu par l’Ilnue Soleil Launière.

Les romans ne sont pas des lectures naturelles pour elle, mais grâce à l’audio, elle découvre cet univers. Elle a aimé L’Obomsawin de Daniel Poliquin, qui lui a permis d’en apprendre plus sur l’Ontario, les gens, la relation avec les Autochtones, la coupe forestière, les mines, et un peu de racisme aussi, bien sûr.

La nation innue

Sa bibliothèque principale – où se trouvent un panache de caribou, des objets, des photos – est bien organisée, juste derrière son bureau, pour que les livres, surtout sur sa nation, soient facilement accessibles. Ma relation avec les livres devient importante parce qu’il y a des Québécois et des Québécoises qui ont écrit sur ma nation. Et ma nation écrit sur nous! lance-t-elle avec une pointe de fierté dans la voix.

D’ailleurs, quand on lui demande en quoi consiste la littérature autochtone pour elle, elle répond que pendant longtemps, sa position a été très campée : la littérature n’était pas pour les Autochtones, car la tradition était orale.

Elle s’est ensuite ouvert les yeux et le cœur après avoir lu un livre sur Tshakapesh, le héros mythique à l’origine du monde. Ça fait longtemps qu’on a la littératie et la forme de littérature dans mon peuple. Elle prend pour exemple les symboles tracés sur des pierres depuis des millénaires pour envoyer des signaux : un danger, une cache de nourriture, etc.

Michèle Audette montre le livre « La forêt vive » de Rémi Savard.

Rémi Savard a consacré une grande partie de sa vie à travailler sur la tradition orale innue et sur la défense des droits autochtones. Il a écrit de nombreux ouvrages souvent cités en référence.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

En haut à gauche, elle montre Les Innus et le territoire de Jean-Paul Lacasse, La voix des autres de Rémi Savard, et elle attrape La forêt vive, du même auteur, en s’exclamant : Tous les Innus devraient lire ça. Tous ceux et celles qui nous aiment devraient le lire!

L’anthropologue Rémi Savard a travaillé toute sa vie sur la tradition orale innue sur la Côte- ainsi que sur la défense des droits autochtones.

Jeune, Rémi Savard, tout comme Serge Bouchard, a pris le temps d’aller vivre la culture innue, de s’imprégner de toutes les façons par le rire, le pleur, l’observation. Se faire brasser, certainement. Et il a été capable de rendre de façon scientifique ce qu’il a entendu : les récits fondateurs de ma nation, dit Michèle Audette.

Elle enchaîne en prenant Tshakapesh, le plus petit des grands chasseurs, de l’auteure Marie Kirouac Poirier et de l’illustratrice Camille Campeau. Michèle Audette a été séduite non seulement parce qu’il est écrit en innu-aimun et en français, mais aussi parce qu’elle y a reconnu des personnes – sa tante et sa mère – ainsi que des images : le territoire, le train, etc.

Michèle Audette regarde des livres dans sa bibliothèque et tient dans sa main le livre « Carcajou et le sens du monde ».

Michèle Audette en profite pour faire un mea-culpa : jeune, elle en a voulu aux historiens, à certains ethnologues et à des scientifiques qui ont extrait le savoir des peuples autochtones sans rien laisser. Cependant, Serge Bouchard, Rémi Savard et d’autres ont fait le contraire.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Malgré son emploi du temps chargé, la sénatrice prend des cours d’innu-aimun, ce qui se constate dans ses lectures. Elle sort le livre Paul Lejeune, linguiste du montagnais (les Innus étaient autrefois appelés les Montagnais, notamment en raison de Samuel de Champlain).

Ça vient brasser mes émotions, insiste Michèle Audette. C’est un prêtre né en 1591 et mort en 1664 et il savait qu’on a toujours été ici. Il n’a pas toujours été fin quand il parlait de nous, pas avec les meilleurs mots, mais il vient démontrer que l’innu-aimun, comme les autres langues autochtones, est une langue très complexe, organisée.

Que quelqu’un de l’extérieur qui veut nous coloniser réalise que notre langue est une richesse, il faut le lire.

Une citation de Michèle Audette, sénatrice

Sa bibliothèque est aussi un mélange de livres qu’elle a réussi à garder dans ses nombreux déménagements. Il y en a d’autres qu’elle a reçus en cadeaux, comme celui de Ninon Labrie, De Pessamit à Jérusalem, une femme innue raconte. L’auteure, une rescapée innue qui a retrouvé avec fierté ses racines, lui a fait une belle dédicace : À cette sénatrice innue que j’admire.

Rita, Naomi et les autres

Parmi des livres bien différents pointe Sénateur, moi? d’André Pratte, que Michèle Audette conseille à tout nouveau sénateur, car ce qu’il a traversé, on le traverse tous. Elle a aussi Mon ami… mon agresseur, un recueil de témoignages de survivantes tombées sous la coupe de proxénètes ainsi que de témoignages d’intervenants qui travaillent pour des organismes communautaires autochtones. Leurs propos ont été recueillis par Diane Veillette et Josée Mensales, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), et publiés par la maison d’édition autochtone Hannenorak, de Wendake. Michèle Audette répète d’ailleurs qu’elle se fournit beaucoup en livres là-bas.

Le travail de ces deux femmes est honorable, explique-t-elle avant de raconter une anecdote qu’elle conclut en disant ceci : Ce livre sert de formation et d’information. C’est un outil important!

Un livre ouvert montre du texte en innu-aimun et des dessins.

« Tshakapesh, le plus petit des grands chasseurs » est écrit en français et en innu-aimun.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Sous de nombreuses photos encadrées, dont une d’elle-même avec son frère quand ils étaient enfants, elle a encore une petite bibliothèque, située dans la grande pièce ouverte qui fait office de cuisine, de salle à manger et de salon.

C’est une bibliothèque à portée de main quand elle est paresseuse et bien installée dans son canapé. Elle n’a qu’à tendre le bras pour attraper encore des livres de Serge Bouchard, des livres de Rita Mestokosho – une grande dame, une puissance pour notre nation –, Tsiueten, de Josée Fontaine et Jean-Louis Fontaine (Nouvelle fenêtre), ainsi que Shuni et Kuessipan, de Naomi Fontaine.

Dans une autre pièce, une troisième bibliothèque comporte quasiment jusqu’au plafond des livres pour enfants, de recettes de cuisine, de Shakespeare, Molière et Agatha Christie, un vieil ouvrage sur Jeanne d’Arc ainsi que des livres sur les peuples autochtones au Canada et dans le monde entier, qu’elle ne veut pas perdre de vue si elle a besoin de s’inspirer.

Le dernier livre acheté?

C’est La constitution autochtone du Canada de John Borrows [ojibwé]. Ce livre a plus de 10 ans et a été mis à jour. C’était en anglais et nos collègues des universités ont fait un travail colossal de traduction. Je l’ai en double. J’en ai reçu un en cadeau, et l’autre, je l’ai acheté. Le premier a l’air d’avoir beaucoup de vécu, mais il n’a qu’une semaine, car le chien l’a mordillé. Je viens aussi d’acheter Le premier arbre de Noël d’Ovila Fontaine.

Ton premier livre?

Le premier gros livre que j’ai lu jeune, c’est Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée… J’avais 13 ans aussi. À ce moment, c’était bien plus le fun de jouer dehors et de faire des mauvais coups à Mani-utenam que de lire, mais quand j’ai ouvert ce livre, j’ai été estomaquée.

Puis je suis tombée sur Qu’as-tu fait de mon pays? Tanite nene etutamin nitassi?, d’An Antane Kapesh. La femme sur l’image me paraissait innue et je me suis rendu compte que je la connaissais. Elle venait chez ma kukum [grand-mère]. La lecture était facile. Elle parlait du train, du jeu de Polichinelle auquel je jouais. Tu mets une balle qui rebondit dans un bas de nylon, t’es collé au mur et tu fais des X en frappant sur le mur de plus en plus vite jusqu’à ce que tu te cognes, en criant Polichinelle.

Un canard en bois et des livres.

Les livres d’An Antane Kapesh et de Norma Dunning ainsi que « La Constitution autochtone du Canada » sont toujours à portée de main.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Les autres livres quand j’étais jeune devaient avoir beaucoup d’images. Mon nous achetait des bandes dessinées : la série Yoko Tsuno et une autre dont je ne me souviens plus du nom. parlait de personnages de l’histoire : Marie Curie, les premiers Noirs à être de grands joueurs dans la Ligue de baseball américaine. Les dessins étaient simples mais nous apprenaient beaucoup de choses. J’aimerais bien la retrouver.

Petite, avais-tu accès à des livres écrits par des Autochtones?

Pas du tout. S’il y en avait, c’était très très peu : je ne les voyais pas ou je ne comprenais pas l’importance, comme An Antane Kapesh ou Carcajou et le sens du monde, Récits montagnais-naskapi, de Rémi Savard [publié en 1971]. Je l’ai depuis longtemps. Je ne catchais pas l’importance. Je l’ai toujours mis dans les boîtes quand je déménageais. Une chance, car c’est après que j’ai réalisé que c’était précieux. On ne le retrouve plus dans ce format.

Un livre qui revient toujours dans tes mains?

J’ai beaucoup de relations avec mes livres. Je les prends, les savoure, les dépose soit dans ma chambre, soit ici, soit au travail. Celui qui revient souvent est Au croisement de nos destins : quand Uepishtikueiau devint Québec. Rémi Savard et Sylvie Vincent [anthropologue et aussi spécialiste de la tradition orale innue] expliquent l’occupation, l’utilisation de la région qu’on appelle Québec. J’ai arrêté de dire que je suis une Innue de Mani-utenam, car mon territoire est beaucoup plus grand que ça et d’autres nations habitaient ou étaient de passage : Wolastoqey, Abenakis, Wendat, Innus, Atikamekw. Ce livre est une mine d’or, car il explique très bien notre présence.

Le livre « To please the caribou » et des perles rangées dans des bocaux se trouvent sur un comptoir.

Ce livre est une grande source d’inspiration et d’apprentissage pour Michèle Audette.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Enfin, chaque semaine, j’ouvre To Please the Caribou de Dorothy K. Burnham, qui m’inspire pour mes créations. Nous, les Innus, nous portions du linge pour honorer le caribou et notre relation avec lui. Après, il y a eu l’influence britannique. Quand je fais du perlage, je reviens toujours à ce livre. Dorothy K. Burnham a fait le tour du monde pour voir les manteaux qui ont été vendus, volés, et explique le travail de pigmentation, comment mordiller l’écorce, la place des femmes dans ma nation. À une certaine époque, l’homme pouvait en avoir plusieurs. Dans le cercle de cet homme, le grand chasseur, il y avait une artiste. Il exprimait son rêve, le symbole qu’il a vu, et à partir de là, la femme créait tout le reste. Plus le manteau était beau, plus le maître du caribou allait l’autoriser à prélever le caribou. C’est beau, mais c’était aussi une façon de s’assurer qu’on n’allait pas trop prélever de caribous.

Des livres que tu emporterais sur une île déserte?

To Please the Caribou et Le peuple rieur de Serge Bouchard. J’emporterais aussi une petite perle pour moi : Annie Muktuk, de Norma Dunning (Nouvelle fenêtre). J’aime sa magie d’écrire dans un monde qu’on dit imaginaire mais qui est notre monde spirituel, réel pour nous. C’est l’histoire d’une Inuk en train de mourir dans une ville du Sud mais dont le monde est dans le Nord, avec les caribous. On y ajoute un contexte médical, pas humain : l’industrie du sexe. Elle nous amène dans un monde riche de culture millénaire et dans des exemples qu’on connaît, comme celui de Joyce Echaquan. Il faut aussi qu’on écrive notre histoire innue comme ça, entre des faits réels et des parallèles avec notre belle grande spiritualité. Je veux rencontrer cette femme un jour.

Des livres et des crayons sur une table.

Sur la table du salon, « Mythes et réalités », de Pierre Lepage, est considéré comme la base pour comprendre, selon Michèle Audette.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Des livres incontournables à recommander de la littérature autochtone pour comprendre, apprendre, et qui se trouvent dans ta bibliothèque?

L’Indien malcommode de Thomas King! Ce n’est pas écrit comme une thèse, un . Il va amener l’histoire comme un Innu qui raconte une vérité avec de l’humour pince-sans-rire. Il brasse un peu, mais avec de l’autodérision. Les gens doivent l’acheter!

Puis Mythes et réalités sur les peuples autochtones de Pierre Lepage. C’est un petit bijou pour comprendre la Loi sur les Indiens, pourquoi les taxes ou pas. C’est la base. J’ai deux éditions et des caisses dans le garage. Il est disponible gratuitement en ligne (Nouvelle fenêtre).

Le livre « Sœurs volées » en français et en anglais.

L’auteure du livre « Sœurs volées », Emmanuelle Walter, s’est intéressée en profondeur à l’histoire de deux adolescentes portées disparues dans le secteur de Maniwaki en 2008.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Ensuite, pour les gens qui savent que j’aime beaucoup donner de l’amour aux femmes et aux filles autochtones qui veulent que les choses changent [Michèle Audette a été commissaire de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées,NDLR], dans mes premières lectures, il y a le livre d’Emmanuelle Walter que j’ai lu d’une traite : Sœurs volées, enquête sur un féminicide au Canada. C’est précieux, car c’est une lunette de l’extérieur qui a su bien expliquer quand on était dans une crise, dans un mouvement à travers le Canada et à l’international, que ça allait mal et qu’il fallait bouger. Alors cette femme a une petite place précieuse dans mon cœur.

Il y a 9 heuresPolitique provinciale
picture]:bg-transparent size-9 basis-9 [&_img]:scale-125 [&_img]:grayscale bg-gray200″>Fannie Olivier

Fannie Olivier

Il y a 9 heuresPolitique fédérale
Il y a 5 heuresPolitique provinciale
Il y a 16 minutesCrimes et délits
Il y a 2 heuresCrimes et délits

Palmarès des livres au Québec