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D’ordinaire si pudique, Rebecca Makonnen brise la glace ces jours-ci, et pas à peu près. Après avoir jalousement protégé sa vie privée, l’animatrice révèle au grand jour son histoire, à vous décrocher la mâchoire.
Publié à 1h05
Mis à jour à 5h00
Dans mon sang, publié chez Libre Expression, est bel et bien un récit autobiographique. Mais cela se lit comme un roman, ou disons une quête identitaire, par bouts carrément un thriller. Pensez : indices, révélations, au compte-gouttes et au fil des pages, même un véritable coup de théâtre, entre plusieurs réflexions sur la famille, les liens choisis et autres secrets (et mensonges) bien gardés.
Rebecca Makonnen n’a aucune ambition littéraire, nuance-t-elle d’emblée, en entrevue. Sa plume a beau être drôlement sentie, son récit haletant, références historiques incluses, elle ne se considère pas comme une autrice. « J’avais seulement une histoire à raconter », dit-elle. À savoir : celle de ses parents. Et effectivement, quelle histoire ! Les rebondissements ne manquent pas, et ne vont pas en diminuant.
Sans rien divulgâcher, il faut savoir que l’animatrice, dans le paysage médiatique depuis plus de 20 ans, de MusiquePlus à ICI Première, en passant par ARTV, a toujours gardé son passé un peu flou. Son père (adulé) était éthiopien, sa mère (adorée) québécoise, s’est-elle bornée à affirmer, pendant toutes ces années. En gros : ses parents, qui se sont aimés sur deux continents, formaient un couple unique et métissé. Or ce n’était pas exactement vrai.
J’avais un grand besoin de vérité. Un urgent besoin de vérité. Et puis un grand désir d’être utile.
Rebecca Makonnen
En gros, et c’est le premier coup de théâtre : elle n’est finalement pas la fille biologique de sa mère, apprend-on, dès les toutes premières pages du récit. On ne vous en dira pas plus, mais sachez qu’il s’agit du point de départ d’une histoire rocambolesque qui se voulait à la base un hommage. Hommage à ses parents, aujourd’hui tous les deux décédés, hommage à leur amour, entre l’Afrique et le Canada, hommage à sa famille, quoi.
Or dans cette volonté de revenir sur le passé, Rebecca Makonnen n’avait pas le choix. Il fallait « crever l’abcès », comme elle écrit. « J’étouffais. » D’où son désir de vérité, qui va finalement l’amener (et amener le lecteur) à plusieurs décapantes découvertes, dont certaines toutes récentes, que l’autrice digère elle-même encore à peine.
Hommage
Mais revenons à cette première révélation : dans ses mots, Rebecca Makonnen est le fruit d’une « connerie » ou d’une « erreur de jugement », comme elle le résume plutôt, une explication qu’elle a choisie pour expliquer cette infidélité avouée de son père, et la résilience infinie de celle qu’elle a toujours appelée sa mère.
Sa démarche de vérité va sans doute en surprendre plus d’un et elle le sait. « Mais je suis le genre de personne qui arrache son Band-Aid d’un seul coup », explique Rebecca Makonnen, en entrevue comme sur ses réseaux sociaux ces jours-ci.
Attention : « Je ne suis pas mythomane, ce n’était pas un tissu de mensonges », précise-t-elle. Plutôt un raccourci, en guise de mécanisme de défense.
PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE
Rebecca Makonnen, animatrice et autrice
C’était déjà dur d’être l’enfant noire dans une classe, je n’avais pas envie en plus d’avoir cette histoire improbable à raconter. […] Et puis c’était tellement plus simple, moins douloureux.
Rebecca Makonnen
« Moins douloureux pour moi, mais aussi pour ma mère », ajoute-t-elle, en se demandant toujours comment cette dernière a pu survivre à cette infidélité, que l’existence même de Rebecca ne pouvait que lui rappeler. D’où l’hommage, on l’aura compris.
Personne ne lui a non plus jamais caché quoi que ce soit. Toute la famille était au courant. Elle a toujours su qui était sa « génitrice », une Éthiopienne, mais n’a jamais voulu en savoir davantage. Sa curiosité intellectuelle pour l’Éthiopie est même toute récente. « C’était douloureux et compliqué, explique-t-elle. Mais maintenant je m’intéresse à ma culture, et je veux honorer mes origines ! »
Précision : ces « omissions » n’étaient pas non plus le fruit d’une honte d’être une personne noire à 100 %, tient ici à souligner Rebecca Makonnen. « Pas du tout. C’était la honte de cette aventure, et d’être née de cette aventure avouée. » Une sorte de culpabilité d’exister, disons. « C’est comme si pour moi, ma mère avait été coincée à élever une enfant née d’une aventure avec une autre femme ! […] Ma pauvre maman ! Mais comment elle se sent ? »
Lui a-t-elle déjà posé la question ? « Je ne pense pas… », laisse-t-elle tomber. On comprend que le sujet était tabou, du moins pour elle, et qu’elle n’avait pas envie d’en parler à l’époque. À preuve : « Je voulais être la fille de mes parents », écrit-elle. Ceci explique cela : elle ne voulait pas davantage faire partie de cet autre « clan », aussi biologique fût-il. Ceux qui la connaissent comprendront sans doute mieux pourquoi Rebecca Makonnen n’a jamais cru aux liens du sang. Ni trop voulu d’enfant…
« Exercice d’empathie »
Cela dit, nulle part dans le récit on ne tombe dans le jugement. Tout le contraire. Que ce soit pour son père, sa mère ou « cette femme qui a accouché de moi », comme elle dit, Rebecca Makonnen a fait un véritable « exercice d’empathie […] pour ne pas juger les faits, les paroles dites, ou l’aveuglement volontaire ».
Cela m’a permis d’avoir de la compassion pour tout le monde.
Rebecca Makonnen
L’exercice lui a pris des années et a été « douloureux », dit-elle, et on comprend pourquoi. Mais en publiant son histoire, elle se sent enfin « libérée ». « La façade est tombée, fait-elle valoir, et je sens un grand soulagement. »
Aussi unique et inédit soit son récit, elle sait qu’il risque d’en toucher plusieurs. « La famille, c’est complexe. […] Et puis tout le monde a des secrets de famille… »
Parlant de complexité, ses toutes dernières découvertes (et non des moindres) sont récentes, on l’a dit. À cet effet, le texte est en quelque sorte inachevé, puisque plusieurs questions et conjectures demeurent en suspens. « Mais c’est assez, tranche-t-elle, en devançant notre dernière question. C’est tout ce que je suis capable de prendre pour l’instant… » On ne peut pas s’empêcher d’espérer : à suivre ?

Dans mon sang
Libre Expression
225 pages