Dany Laferrière raconte les nuits haïtiennes dans son 5e roman dessiné

J’étais désolé qu’on ait perdu la nuit. C’est beaucoup quand même dans une vie humaine, cette part de la rêverie, où on peut rendre les armes. C’est terrible qu’une société, la nôtre, ait pu faire en sorte que la nuit soit aussi active que le jour, aussi brutale, explique Dany Laferrière, de passage à Montréal où il sera honoré à l’occasion du festival Haïti en folie pour ses 35 ans de carrière.

Dans la splendeur de la nuit est un recueil de poèmes, accompagné d’illustrations dessinées par Dany Laferrière, qui nous plonge dans les nuits haïtiennes, entre Port-au-Prince, Petit-Goâve et Cité Soleil. Si les textes sont partiellement inspirés de sa propre expérience, l’auteur tient à se distancier du narrateur, préférant laisser planer un mystère que tout le monde peut s’approprier.

La nuit, dernier rempart de l’imaginaire

L’académicien affirme qu’il a l’impression que l’espace laissé à la nuit a beaucoup diminué au fil du temps, notamment avec l’urbanisation et les dangers qui se multiplient en Haïti. Il se rappelle de son enfance à Petit-Goâve, quand sa grand-mère le réveillait au beau milieu de la nuit pour lui montrer le ciel.

On n’avait pas d’électricité à l’époque, on avait des lampes. En même temps, on avait le ciel étoilé, la mer des Caraïbes et la lune pour nous guider, pour rêver aussi, se remémore-t-il. Ça vous enlève du sentiment de nationalisme. On se dit que le monde est vaste.

Il se souvient aussi du moment où il vraiment a senti que la nuit avait été dérobée au peuple haïtien, lorsqu’il s’est rendu compte que sa sœur n’était presque jamais sortie de chez elle la nuit, comme plusieurs jeunes femmes, en raison de la criminalité.

Comment va-t-elle faire, si elle veut être écrivaine, poète, peintre, si elle a perdu tout l’espace gratuit de la vie?, se demande-t-il.

« On ne peut reconnaître une ville ou une société libre, civilisée et heureuse que s’il y a des femmes qui se promènent la nuit librement, sans se retourner pour voir si elles ne sont pas suivies. »

À travers les péripéties de son narrateur, qui s’exprime à différentes étapes de sa vie, il souhaite redonner un peu de magie à cette période de répit entre la tombée et la levée du soleil, où le silence n’est interrompu que par le son des animaux.

Le garçon se demande pourquoi il est exclu de cette splendeur seulement parce qu’il est un être humain, pourquoi il marche en conquérant dans ces rues le jour, alors qu’il ne voit pas tous les animaux qui se cachent, illustre Dany Laferrière. Il aurait aimé être l’un d’eux et faire partie de cette nuit. Sa sensibilité poétique va lui permettre d’en être.

Dans la splendeur de la nuit est publié aux éditions Points.

Ce texte a été écrit à partir d’une entrevue réalisée par Catherine Richer pour l’émission C’est ma tournée. Les propos ont pu être édités à des fins de clarté et de concision.