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Dérives et faux-fuyants, notre sélection polar d'avril

Le Devoir Lire

Les éditions Alire ont vraiment eu la main heureuse en investissant dans des séries d’auteurs autochtones, et c’est avec un plaisir difficile à contenir que l’on replonge, avec Meurtres sous un ciel de glace, dans l’univers inimitable de Thomas King.

Thumps DreadfulWater est de retour à Chinook et, comme à l’habitude, le shérif Hockney l’engage, malgré les protestations du photographe, pour un intérim d’une semaine, le temps d’un voyage. Le policier a besoin d’aide parce qu’on vient de retrouver dans un motel un suicidé — qui ne l’est pas vraiment — au moment même où s’ouvre dans la petite ville une Rencontre nationale sur l’eau. Comme à l’habitude, Thumps refuse… et plonge dans l’enquête.

Qui tourne tout de suite à plein régime sur deux registres : celui des faux suicidés — puisqu’il s’en est ajouté d’autres… — et celui des enjeux soulevés par une technologie révolutionnaire présentée à la Rencontre sur l’eau. Il se trouve que les deux principaux actionnaires de la compagnie qui a développé cette méthode de mesure et de cartographie des nappes phréatiques (ou pétrolières) font d’ailleurs partie des nouveaux pensionnaires de la morgue de Chinook. Et bien sûr, l’enquête s’orientera dans cette direction jusqu’à ce que Thumps éclaircisse définitivement le tableau. Ce qui prendra un certain temps, on vous le dit tout de suite, et qui permettra au lecteur de sentir le pouls de la communauté autochtone environnante et, aussi, de prendre conscience des ennuis de santé du personnage principal de la série et de sa bien-aimée.

Thomas King aborde cet univers très particulier avec un humour qui fait de plus en plus penser à Donald Westlake, ou plutôt à Craig Johnson (merci les traducteurs !). King aime profondément ses personnages et nous le fait sentir à travers leurs vulnérabilités ; ils gagnent ainsi une humanité et une force qui s’amplifient à chaque nouvel épisode de la série. Ici, son portrait des Autochtones de la petite communauté entourant Chinook — et surtout la façon « décontractée » dont ils mènent la lutte pour faire reconnaître leurs droits — est sans pareil et vaut déjà le détour. Ajoutez à cela l’ineffable présence de DreadfulWater et de ses amis… et vous ne pourrez pas résister vous non plus. Vite, la suite !

Fausse respectabilité

Le paysage littéraire islandais est si touffu qu’il est parfois difficile de s’y retrouver ; d’autant plus qu’il y a deux Sigurdardottir qui écrivent des polars… Lilja, qui s’est fait connaître par sa trilogie Reykjavik noir(« Piégée », « Le filet », « La cage »), et Yrsa, qui est là depuis longtemps et qui, après une maîtrise en génie civil à Concordia (vous avez bien lu), continue à publier en Islande… et à être traduite en France, merci. C’est elle que l’on retrouve ici avec son inspecteur Huldar, de la Brigade criminelle de Reykjavik, qui mène une quatrième enquête sombre et difficile.

Le « trou » s’amorce donc alors que la police trouve un enfant de quatre ans dans le condo d’un milliardaire, un jour à peine après avoir découvert le cadavre de ce dernier dans un champ de lave, près de la capitale. Il ne reste qu’à établir le lien entre les deux événements. Ce qui ne va pas de soi, évidemment…

Il faudra d’abord retrouver les parents du jeune garçon, que l’on arrive difficilement à identifier. Cette recherche fera du moins surgir une première piste inattendue : celle de la violence conjugale. Aidé encore par Freyja, que l’on connaît depuis ses enquêtes précédentes (Succion, Absolution chez le même éditeur), Huldar découvre bientôt les petits secrets du milliardaire assassiné brutalement. Le lien se précise de plus en plus et il devra accélérer le rythme de l’enquête puisque la vie d’autres personnes semble en danger.

Tout cela nous est raconté, grâce à une traduction efficace, sur ce ton indéfinissable qui caractérise bien l’écriture d’Yrsa Sigurdardottir ; ici, le temps comme la structure du récit semblent étrangement « plastiques », flous, sans contour précis. Même les personnages flottent dans le malaise qui les habite… À déguster lentement pour goûter ce monde en demi-teintes.

Le bout du monde

Douve, ce n’est pas seulement le titre de cet étrange objet littéraire… c’est aussi le nom du village enclavé entre forêts, collines et marais où se déroule cette histoire. Un trou perdu quelque part dans l’arrière-pays lyonnais, constamment sous la pluie, au bout d’une petite route que personne ne prend jamais. Dès les premières pages de ce roman touffu, on saisit bien vite qu’il se passe là des choses très bizarres.

L’intrigue est complexe et se résume mal en quelques lignes ; disons qu’on y suit un policier en vacance dans ce coin perdu, sur les traces d’une série de disparitions plus ou moins résolues. Ledit policier est attiré là parce qu’il a « Douve dans les veines » : son père y a enquêté il y a quelques décennies et sa mère a même écrit un livre sur la fameuse affaire. Il y retourne à son tour parce qu’un autre assassinat vient de faire les manchettes.

Le monde que trouve là l’inspecteur Hugo Boloren est unique, autant par l’environnement toxique dans lequel le village est encastré que par son histoire et les personnages étranges qui y habitent. Victor Guilbert, un nouveau venu qui est aussi dramaturge, trace ici une galerie de portraits absolument remarquables et une intrigue labyrinthique qui ne se dénoue qu’au tout dernier moment. Un auteur à suivre…


 

Meurtres sous un ciel de glace

★★★ 1/2
Meurtres sous un ciel de glace

Thomas King, traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Alire, Lévis, 2022, 414 pages

★★★
Le trou
Yrsa Sigurdardottir, traduit de l’islandais par Catherine et Véronique Mercy, Actes Sud « Actes noirs », Arles, 2022, 336 pages

★★★
Douve
Victor Guilbert, ​J’ai lu, Paris, 2022, 344 pages

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