Paru en premier sur (source): journal La Presse
Pour l’instant, au Québec, la majorité des livres neufs envoyés au pilon reprennent vie sous forme de carton d’emballage ou de papier hygiénique. Mais la matière, on ne peut plus propre, fait de l’œil aux entreprises de recyclage.
Publié à 1h48 Mis à jour à 8h00
Tania Massault, présidente du Comité spécial sur l’écologie du livre à l’Association nationale des éditeurs de livres, a lancé un projet-pilote pour revaloriser le pilon grâce à un centre de transformation Rolland, une filiale de Sustana.
L’idée ? Favoriser l’économie circulaire en créant de la fibre de papier, puis du papier imprimable, à partir des livres pilonnés. D’autres centres, comme Recyclage Vanier à Québec, offrent des solutions similaires. « La fibre de papier peut être réutilisée de six à sept fois », explique Mme Massault.
Si le pilon représente actuellement une dépense pour les éditeurs – ils paient le temps de traitement aux distributeurs –, la revalorisation de livres recyclés pourrait éventuellement rapporter un peu d’argent.
Selon Karel Mayrand, du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets, il faut garder en tête que le recyclage du papier « n’est pas une panacée ». Cela « cause aussi des problèmes environnementaux, que ce soit en matière d’utilisation d’eau ou de désencrage. Il faut surtout éviter de produire inutilement un bien ».
Réduire à la source
Les éditions Écosociété, entre autres maisons, se font un point d’honneur d’éviter le gaspillage grâce à « une veille constante des stocks en librairie et chez le distributeur », explique Kevin Cordeau, responsable de la production. L’entreprise écologique mise sur de petits tirages inauguraux. « Et on peut réimprimer au fur et à mesure si le livre fonctionne plus que prévu, dit-il. D’un point de vue technique, c’est rendu possible grâce à l’impression numérique, un peu comme le font nos imprimantes de bureau, mais à la puissance 50. »
On essaie de garder des tirages réalistes et de cibler des libraires pour éviter de bombarder le marché. On n’est pas dans une optique de best-sellers. On aime mieux en vendre moins et tirer la plogue quand le tirage est écoulé.
Jasmin Miville-Allard, directeur général de Moult Éditions
Mais pour les petites maisons d’édition, cette prudence a un coût. « Pour Fuck le monde, de Simon-Pierre Beaudet, on avait tiré à 600 exemplaires et on a dû en vendre plus de 2000. Ça veut dire beaucoup de petites réimpressions. Le livre n’a pas généré beaucoup d’argent. »
De plus en plus d’éditeurs, note Tania Massault, misent aussi sur l’écoconception, qui vise à réduire l’empreinte écologique d’un livre au tout début de la chaîne. « La bonne nouvelle, c’est que la marge de manœuvre d’amélioration est assez exceptionnelle », note-t-elle.
Écouler au rabais
Les éditeurs qui sont aux prises avec une quantité exagérée d’un même livre peuvent décider de l’écouler au rabais. « Un livre de recettes, par exemple, il y a toujours un prix où il va finir par sortir », note Marc-André Audet, fondateur et patron des éditions Les Malins.
Les grandes surfaces au rabais comme Walmart, Costco, Tigre Géant ou Dollarama comptaient pour 8 % des ventes de livres au Québec en 2020, selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec.
Certains livres excédentaires sont carrément donnés en cadeau, par exemple lorsqu’un lecteur achète une autre œuvre dans une foire ou un salon. Cela dit, une œuvre qui n’a soulevé aucun intérêt à plein prix risque de subir le même sort même à tarif réduit.
On préfère vendre nos livres à des soldeurs que de les jeter, mais un roman qui ne fonctionne pas, même si je le donne, il ne sera pas lu.
Marc-André Audet, fondateur et patron des éditions Les Malins
Dans la plupart des contrats d’édition, une clause prévoit que les auteurs peuvent racheter les livres destinés à la vente au rabais ou à la destruction. L’auteur paiera le prix de solde envisagé ou le coût de pilonnage, le cas échéant. Il peut alors tenter de commercialiser lui-même son ouvrage.
(Sur)entreposer
Les éditeurs ont toujours le choix d’entreposer leurs livres invendus ad vitam æternam, mais le « surstockage » a un coût financier et environnemental important.
« D’avoir des surstocks, ce sont des frais de main-d’œuvre, d’inventaire, d’états financiers, observe Nadine Perreault, directrice générale de Diffusion Dimedia. En général, une fois par année, on fait un ménage avec chaque éditeur. Et ça arrive, pour des méventes, qu’on conseille à l’éditeur de pilonner. »
En France, il serait financièrement plus avantageux pour l’éditeur de réimprimer un ouvrage que de le garder en stock, a démontré une étude de WWF en 2019. Or, les éditeurs, avec l’aide des subventionnaires, travaillent de plus en plus sur la valorisation de leur catalogue de fonds.
Il faut donc trouver un équilibre entre la disponibilité d’un vaste stock et le gaspillage d’espace et d’argent chez les distributeurs. Leurs suggestions d’élagage mènent parfois à des « discussions difficiles », avoue M. Audet, des Malins. « Mais on finit toujours par s’entendre sur quelque chose. »
Encourager des organismes
Des maisons d’édition offrent leurs livres défraîchis à des organismes variés, par exemple des bibliothèques communautaires, note Kevin Cordeau, responsable de la production chez Écosociété.
Tania Massault se montre plus critique à l’égard de la pratique philanthropique qui consiste à acheminer gratuitement des livres neufs du Québec vers des pays en voie de développement.
« J’ai un gros malaise parce que ça fait un peu colonialiste comme don. Non seulement il y a tous les gaz à effet de serre émis durant le transport, mais il y a aussi un non-respect de la production locale là-bas. Comment voulez-vous qu’un éditeur