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Désirer la violence | Culture (du viol) populaire

Paru en premier sur (source): journal La Presse

Du prince soi-disant charmant qui « vole » un baiser à sa princesse au « bad boy » manipulateur, voire carrément violeur, la culture populaire regorge personnages aussi douteux que toxiques, loin d’être innocents. La journaliste française Chloé Thibaud signe un costaud sur la question, parce que non, ça n’est pas « juste de la fiction ».


Publié à 2h06

Mis à jour à 7h00

C’est d’ailleurs l’un des reproches les plus fréquents que reçoit l’ de Désirer la violence, Ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer, publié ces jours-ci chez Hachette. Il ne se passe pas une journée depuis la sortie de son sans qu’on lui écrive pour la traiter de « casseuse d’ambiance ». « Non, mais ça va, c’est que de la fiction. Prends du recul », paraphrase la journaliste, que l’on peut lire régulièrement dans le média féministe Simone Media, en entrevue Zoom jeudi.

« C’est assez effarant », dit-elle, devant la montagne de messages « agressifs, menaçants et misogynes » accumulés.

Je pense que tout le n’est pas prêt à entendre et admettre ce que je mentionne dans le livre.

Chloé Thibaud, autrice et journaliste

À noter que chez nous, l’autrice India Desjardins a publié un essai plus ou moins sur le même sujet, en 2021 : Mister Big ou la glorification des amours toxiques, où elle dénonçait justement ces modèles d’amours impossibles, où les mauvais garçons ont toujours le beau rôle.

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Joey (Matt LeBlanc) dans Friends

Chloé Thibaud ratisse très large – sa bibliographie est aussi impressionnante – et touche à quantité de classiques (français et américains) considérés comme quasi intouchables. Au-delà des prévisibles James Bond, Indiana Jones, même Han Solo (« vos héros préférés sont des agresseurs », écrit-elle, scènes précises à l’appui), elle montre du doigt Chuck Bass (Gossip Girl), Barney (How I Met Your Mother), même… Joey (Friends), cet « énorme psychopathe ». Sans oublier les princes de Disney, plusieurs héros de comédies dramatiques et autres drames qui ont fait école : Bridget Jones, Pride and Prejudice, The Notebook…

Souvenez-vous de la scène de soi-disant séduction, quand Noah (Ryan Gosling), accroché à un manège, menace de se jeter dans le vide si la belle Allie (Rachel McAdams) ne sort pas avec lui. Romantique, vous dites ? Ou… carrément toxique ?

PHOTO FOURNIE PAR WARNER BROS.

Ryan Gosling et Rachel McAdams dans The Notebook

Sans surprise, Gérard Depardieu (Les Valseuses) y passe, mais aussi… le réalisateur Klapisch (nous y reviendrons).

Sa thèse ? Que ces films (et séries), en valorisant des personnages tantôt manipulateurs, tantôt carrément agresseurs (la scène de viol dans Saturday Night Fever, l’aviez-vous oubliée ? ), érotisent ce faisant le conflit.

Avec ce livre, je m’interroge sur ce qui forge nos imaginaires, eh oui, j’accuse la pop culture de m’avoir incitée à désirer la violence.

Chloé Thibaud, journaliste et autrice

L’autrice, qui a été victime de violence conjugale, ne cache pas avoir grandi avec les films de Tarantino. Elle a en outre voué un culte à Serge Gainsbourg, possédé un buste de Woody Allen et même songé à appeler son fils Roman (parce que Polansky a longtemps été son réalisateur favori). On comprend que ça n’arrivera pas. « J’incarne mon propos, je n’ai pas honte […], personne n’est parfait, souligne-t-elle en entrevue. Oui, moi-même, j’ai fait un gros travail ! » Et un sacré bout de chemin. Qu’elle invite ses lecteurs à faire à leur tour.

Contextualiser avant tout

Avant d’aller plus loin, une précision : on vous entend déjà hurler ici à la culture de l’annulation (cancel culture). Et vous avez tout faux. « Ce n’est pas ce que je défends, précise l’autrice, qui a publié plusieurs livres sur le sujet, notamment En relisant Gainsbourg (2021). Je ne suis pas pour la cancel culture, mais pour la contexte culture. Pour moi, le secret, c’est de contextualiser les œuvres. Un peu comme en musique ou en peinture. Par exemple, aujourd’hui, on sait que Picasso n’était pas l’homme le plus charmant. Est-ce que je veux qu’on brûle ses peintures ? Non, bien évidemment. Mais j’aimerais, par contre, qu’on explique que Picasso a été un homme violent. »

PHOTO PAULINE DARLEY, FOURNIE PAR L’AUTRICE

Chloé Thibaud, autrice et journaliste

Au cinéma, elle n’appelle pas non plus à l’annulation de Blanche-Neige. « Mais j’aimerais qu’on prenne nos responsabilités et qu’on explique […] qu’un baiser forcé, ça n’est pas romantique… »

Parlant de baiser forcé, vous souvenez-vous de L’Auberge espagnole ? Film cultissime pour des générations de Français, il met pourtant en scène un merveilleux contre-exemple de consentement. Pour , Xavier (Romain Duris) embrasse avec insistance une certaine Anne- (Judith Godrèche), malgré son refus, sept fois plutôt qu’une. Non, ça veut vraiment dire oui ? Chloé Thibault en a discuté avec le réalisateur.

Je savais que ça allait venir, je me demandais juste à quel moment ça allait tomber.

Cédric Klapisch, réalisateur de L’Auberge espagnole cité dans le livre

« Les situations grinçantes, doit continuer à être notre nourriture narrative, a-t-il répondu à l’autrice, qui rapporte ses propos dans le livre. Mais comment faire pour montrer tous ces conflits sans faire l’apologie de la violence ? […] Tout cela est bien compliqué. »

« Au moins, il se remet en question. Ce qui est déjà beaucoup plus que la majorité des réalisateurs français… », se félicite-t-elle.

Quant à elle, elle n’a pas l’intention de lâcher le morceau. « J’invite à voir en face ce qu’on ne veut pas voir. Ce sur quoi la société se ferme les yeux, conclut-elle. Mais avec la culture populaire, les gens sont tellement attachés, ils ne veulent pas voir le problème… »

Et si vous voulez tout savoir, oui, Chloé Thibaud écoute toujours religieusement Friends. Mais elle se pose désormais beaucoup de questions. Objectif : « détecter la violence sexuelle là où on ne la voyait pas… »

Désirer la violence, ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer

Désirer la violence, ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer

Chloé Thibaud

Hachette

234 pages

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Dans cet article

Chloé Thibaud Désirer la violence, ce(ux) que la pop culture nous apprend à aimer



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