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L’écrivain franco-ontarien Didier Leclair est un citoyen du monde. Né à Montréal et ayant grandi en Afrique, il retourne à 18 ans découvrir le pays de ses origines et s’y installe. À travers la littérature, il abolit les frontières qui divisent, préférant utiliser les mots pour amplifier les voix et les expériences qui façonnent et enrichissent la société.
Depuis la publication de votre premier roman, Toronto, je t’aime (Terre d’Accueil), le thème de l’identité semble être un fil conducteur qui traverse votre oeuvre et se déploie au fil de vos autres récits. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui définit cette identité?
J’estime que l’identité est la question fondamentale du XXIe siècle. Des communautés diverses sont installées un peu partout dans le monde. Je définis l’identité au XXIe siècle comme une identité flexible, multiforme. C’est pour ça qu’être écrivain franco-ontarien ne m’empêche pas d’être aussi d’Afrique et du Rwanda. Ainsi, vous pouvez prendre Le complexe de Trafalgar (Vermillon) et suivre le personnage principal, un Franco-Ontarien né en Ontario, ou opter pour Ce pays qui est le mien (Vermillon) et être en compagnie d’Apollinaire, un chauffeur de taxi torontois né en Afrique centrale.
Une autre thématique présente dans vos romans, notamment dans Le prince africain, le traducteur et le nazi (Éditions David), est celle des personnages marginaux, souvent issus de la diversité. Pourquoi est-il important pour vous de raconter ces parcours de vie et ces réalités? Et quelle responsabilité l’écrivain a-t-il face à ces récits oubliés?
Les personnes en marge de l’histoire sont celles qui ne contrôlent pas le narratif. Elles le subissent et lisent des récits à propos d’elles sans pour autant avoir participé à leur rédaction. Les livres d’histoire au Canada et ailleurs regorgent de ce genre de récit écrit par le conquérant. Je tente de donner la parole à ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans le récit officiel. Pour prendre mon dernier roman comme exemple, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale oublient souvent d’inclure les communautés de la diversité dans la lutte contre le fascisme hitlérien. Or, il y a eu des militaires africains et des espions de race noire comme Joséphine Baker qui ont mis leur vie en danger pour vaincre l’adversaire. Ma responsabilité est de me rapprocher le plus de la vérité.
Les personnages de mon plus récent roman sont contre le nazisme et sauvent des vies. Je compte d’ailleurs écrire une série à propos d’eux.
Quels défis rencontrez-vous en tant qu’écrivain et en tant qu’individu évoluant dans un contexte de minorité linguistique? Par ailleurs, au-delà de ces difficultés, la pratique du français offre-t-elle des avantages insoupçonnés ou des opportunités uniques, surtout dans un environnement majoritairement anglophone?
Il y a des défis et des embûches quand on est écrivain noir au Canada. À ce sujet, des collègues et moi avons mis sur pied le CAFAC (Conseil des auteurs et auteures francophones afro-canadiens et afro-canadiennes). Nous sommes encore au début, mais le but ultime est de mettre en exergue la contribution des écrivaines et écrivains afro-canadiens. Ainsi, nous essayons de diminuer les défis et les embûches pour les générations futures. Par ailleurs, la pratique du français est une épée à double tranchant. D’un côté, c’est un atout pour obtenir des emplois bilingues et pour survivre à Toronto, une ville où la vie est chère. Cela permet aussi de mettre vos enfants à l’école française si vous tenez à leur donner le même atout que vous. Cependant, la difficulté en tant qu’artiste francophone de l’Ontario est la traduction des oeuvres. Elle se fait au compte-gouttes. Par conséquent, peu d’Ontariens anglophones vous connaissent, même si vous parlez leur langue.
Écrire un livre, c’est laisser une trace indélébile de son parcours. Avec plus de dix
ouvrages à votre actif, quelle est la trace que vous souhaitez laisser à la postérité?
Écrire, c’est laisser une trace, j’en conviens. Cela dit, tout dépend des responsables de la littérature pour parler de mon œuvre. Si les chercheurs, les professeurs et les lecteurs, lectrices continuent de me lire après ma disparition, la trace de mon passage sera visible. Je le souhaite pour que les générations à venir sachent que je ne suis pas resté les bras croisés. J’ai tenté, avec mes traces, de montrer la direction vers laquelle il faut progresser.
©Photo : New Paramount Studios