Paru en premier sur (source): journal La Presse
Dans la vie de Nan Sappo, un soleil : sa sœur, Aino. Lorsque cette dernière meurt par sa faute, une seule option s’offre à la ferblantière, qui refuse d’accepter l’horreur de sa disparition : apporter son crâne jusqu’au sommet d’Eien, à travers les impénétrables forêts du Kavela.
Publié à 7 h 30
En cette contrée où demeurent Nan et sa famille, dans le village d’Ursa, la croyance veut que soient conservés les crânes de trépassés. Selon la légende racontée par sa Mummo Edda, porter les crânes au sommet vertigineux d’Eien, dont l’aveuglante neige éternelle causerait la cécité à ceux qui s’y aventurent, aurait le pouvoir de ressusciter les morts.
Avec son écriture d’une richesse étoffée, qui nous transporte d’emblée ailleurs, dans un univers où grouillent des créatures surnaturelles et horrifiantes, où le monde est façonné par les histoires et légendes orales plus tangibles que la vie elle-même, Fanie Demeule offre un récit brûlant comme l’amour que Nan porte à sa sœur. Avec une histoire de courage frondeur et de désespoir fou, où la fin (faim) justifie tous les moyens.
Jusqu’où peut-on aller par amour ? La réponse de Nan est sans appel : jusqu’à l’inimaginable et à l’irréparable, jusqu’au bout de soi.
Ceux qui apprécient l’univers de la prolifique autrice, qui signe ici son sixième roman, y retrouveront certains motifs. Celui de l’obsession, du rapport au corps et à la chair, des zones sombres qui nous habitent – l’anorexie dans Déterrer les os, la chevelure rousse dans Roux Clair Naturel, l’internet et ses dérives dans Mukbang –, mais aussi la transfiguration du réel et une frontière floutée entre la réalité et l’imaginaire. Mais pour ce roman qui l’habite depuis 20 ans, elle confiait à La Presse l’an dernier, à l’occasion de la sortie de son roman précédent Dents de fortune, faire un changement de registre radical et retourner à ses passions premières, le genre de la dark fantasy, en s’inspirant des mythologies et du folklore de la Finlande et du Japon.
Et c’est effectivement un monde captivant que crée Fanie Demeule dans ce roman très abouti, à l’écriture fiévreuse, ensorcelante. Du ventre des montagnes est un conte noir : une quête impossible par une (anti)héroïne dans un univers peuplé de monstres et de personnages plus grands que nature – Grande-Bouche. Un homme-ours qui nettoie les crânes (et dévore les corps), une vieille-jeune aux dents de fer acérées et ses louves, la forêt et la montagne, à la présence mystique, surnaturelle – où l’horreur côtoie le merveilleux, où la chair se consume de mille et une façons. Au fil de cette expérience transformatrice – littéralement –, Nan ne pourra se résoudre à abandonner sa sœur au sort qui est désormais le sien, malgré les rencontres qui ponctuent son chemin et qui la feront dévier de sa trajectoire.
En librairie le 25 mars
