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Dans son quatrième roman, Eka ashate · Ne flanche pas, l’autrice innue Naomi Fontaine raconte la résistance au colonialisme à Uashat mak Mani-utenam en oscillant entre le réel et la fiction. S’inspirant d’histoires obtenues auprès d’aînés, elle raconte des chapitres connus de l’histoire de l’endroit, mais aussi des séquences plus intimes de la vie d’Innus qui habitent ces communautés sœurs.
Il y a beaucoup de la parole des aînés là-dedans. Il y a beaucoup de leur vision du monde, de leurs récits, de leur expérience. Ce qu’ils voulaient nous léguer
, résume Naomi Fontaine.
Par exemple, l’autrice de ces lignes a découvert au cours de sa lecture qu’un des chapitres raconte l’histoire de son oncle, un survivant des pensionnats qui a résisté autant qu’il pouvait et qui a inspiré le titre du roman Eka ashate · Ne flanche pas.
En revanche, Naomi Fontaine a aussi voulu trouver sa place dans cet ouvrage en y mettant du sien. Il fallait que ça devienne de la fiction, car c’est mon apport personnel
, explique-t-elle. Elle a essayé, dans un premier temps, d’écrire les histoires avec les vrais noms de ses personnages et en trouvant les vraies dates des événements qu’ils lui ont relatés
Cependant, il y avait comme quelque chose qui ne cimentait pas
, décrit-elle, ne souhaitant pas que l’œuvre prenne des allures de recueil de nouvelles. Devant ce constat, elle a contacté son éditeur qui lui a rappelé qu’elle n’était pas une historienne, mais une romancière. « Naomi, tu devrais changer les noms. Tu peux inventer, tu as le droit »
, se remémore l’écrivaine. Même si les histoires sont basées sur l’expérience de vie réelle des personnes, c’est là que je suis tombée vraiment dans la création et dans le plaisir finalement de créer cette communauté-là
.
Les aînés Antonio Fontaine, Sylvain Vollant, Raymond Jourdain, Charles Robertson, Dénis Michel et Marie-Marthe Fontaine (assis, de gauche à droite), et Bastien Michel et Lise Michel – la mère de l’autrice – (debout au centre) ont tous raconté leurs histoires à Naomi Fontaine (debout à droite).
Photo : Radio-Canada / Shushan Bacon
Chroniques d’un combat quotidien
Dès la première page, la romancière aborde son intention par des mots inscrits en majuscules.
Ils ont gardé le silence durant plus d’un demi-siècle. Eka takuaki aimuna. Quand il n’y a pas de mots. C’est le silence qui les a tués.
La découverte des possibles tombes non marquées près de l’ancien pensionnat de Kamloops en Colombie-Britannique en 2021 a été un élément déclencheur dans sa réflexion. Bien qu’elle ait appris la nouvelle en même temps que tout le monde
, elle avait déjà entamé des recherches sur la Loi sur les Indiens et sur le colonialisme en général.
D’être confrontée à cette macabre découverte et à l’histoire de la colonisation a provoqué un questionnement fondamental : après avoir vécu tout ça, comment est-ce possible que mon peuple existe encore?
Car, elle constate que la langue est toujours vivante, que la culture et les traditions sont toujours présentes dans sa communauté. L’identité est même très forte
, souligne Naomi Fontaine. Et ça ne date pas d’hier non plus : elle connaît bien l’œuvre d’An-Antane Kapesh, première écrivaine innue qui a raconté la résistance au colonialisme dans les années 70 à Schefferville.
Dans son roman, Naomi Fontaine met donc en scène de nombreux aînés qui ont résisté à leur manière, chacun avec leurs histoires, leurs vécus, leurs enfances, leurs combats, et à travers l’histoire de ma mère aussi
.
Sa mère est effectivement un des personnages principaux, et c’est à travers elle que Naomi Fontaine réalise que la résistance s’est faite à travers les petits gestes.
C’est le combat quotidien à l’intérieur des familles. Des gens qui n’ont pas voulu abandonner […] Ils se sont battus contre eux-mêmes, contre le fait d’être colonisés, de douter de sa culture. Et aujourd’hui, je réalise que notre culture est vraiment forte encore.
Entre les chapitres, l’autrice insère également des vers de chansons d’artistes musicaux provenant de sa communauté qui chantent en innu-aimun tels que Kashtin, Philippe McKenzie, Bill St-Onge ou Scott-Pien Picard.
Pour elle, insérer des couplets de leurs chansons qui racontent également le quotidien des Innus allait très bien avec le concept du livre.
On oublie souvent leur travail. Nous, on les chante, on les écoute à la radio, on aime ça, on danse dans les soirées
, Naomi Fontaine avait envie que leurs textes voyagent au-delà des communautés autochtones.
J’ai beaucoup de respect pour les auteurs-compositeurs-interprètes innus qui chantent dans notre langue. Je trouve que c’est tellement un beau geste de résistance.
Eka ashate · Ne flanche pas (Mémoire d’encrier) sera en librairie le 4 août