
Deux artistes et une chercheuse lancent HystéRire, un festival d’humour féministe et antiraciste où, pendant trois jours, aucun homme cisgenre ne fera le comique sur scène. Un pied de nez par excellence à ceux qui croient encore qu’on ne peut vendre des billets avec des histoires de menstruations et de micro-agressions.
Les wokes ne sont pas reconnus pour être des boute-en-train. Ils sont plutôt vus comme des personnes susceptibles qui ne savent pas rire à une blague ! Un instant, répondent Catherine Lauzon, étudiante à la maîtrise en communications, Emna Achour, humoriste et femme racisée, et Noémie Leduc-Roy, humoriste et personne non binaire. Autant dire le cauchemar des traditionalistes. Le trio fait même le pari qu’il existe un grand public qui en a marre des blagues de tondeuses et de blondes qui aiment magasiner, marre des jokes de bonshommes.
HystéRire compte des spectacles, un match d’impro, un micro ouvert, une table ronde. Les thèmes abordés vont de la diversité corporelle à l’expression de genre et à l’intersectionnalité. « On le voit par les réactions qu’on suscite depuis qu’on a annoncé le festival : il y a un besoin d’humour féministe, queer, antiraciste, dit Catherine Lauzon. Le public veut accueillir cette proposition-là. On arrive avec quelque chose qui n’existe pas sur le marché. »
En général, on exige toujours des féministes qu’elles prouvent leur pertinence en humour alors que l’inverse n’arrive jamais, dit Emna Achour. Pas ici. « Les féministes, les queers, les artistes, c’est un vrai public, qui a de l’argent pour consommer des formes d’art intelligentes, bienveillantes, inclusives », dit celle qui a fui il y a cinq ans une carrière dans le journalisme sportif, traumatisée par « le boys’ club du hockey ». Soit dit en passant, intervieweuse et interviewée ont fait un baccalauréat en même temps dans une vie lointaine.
Noémie Leduc-Roy abonde dans son sens. « L’idée de se demander s’il y a un public pour ça, c’est un faux problème, dit l’humoriste. Notre campagne de sociofinancement le prouve, la vente des billets aussi. Mon spectacle Womansplaining Show [un cabaret d’humour coanimé avec l’humoriste Anne-Sarah Charbonneau] remplit le Lion d’Or. L’humour, c’est aussi juste un artiste qui parle de sa vie, rencontre les gens comme ils sont, où ils sont. »
Évolution naturelle
Noémie et Emna font partie d’un petit groupe d’humoristes qui font trembler les colonnes du temple, sur les réseaux sociaux et dans le monde réel. Le Womansplaining Show promet de « détruire le patriarcat une blague à la fois ». Emna Achour anime le balado Farouches avec Coralie LaPerrière. Elles sont d’ailleurs à l’origine de la page Instagram Pas de filles sur le pacing, qui expose des événements strictement masculins.
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En ce sens, HystéRire représente une évolution naturelle. « J’ai d’abord créé un petit show. Ensuite, un balado. Puis un show dans un festival. Et maintenant, un festival, dit Emna Achour. C’était la suite logique de ce qu’on fait en humour. On était tannées d’attendre que les autres festivals nous fassent une place. On va créer le nôtre. »
Retour de la vague
Si l’art fait par des personnes issues de la diversité a pris un certain envol dans les dernières années, nul ne peut ignorer la montée des valeurs conservatrices dans l’espace public. HystéRire est-il donc de facto un acte de résistance ? « Je pense justement qu’on arrive à un excellent moment », répond Catherine Lauzon. Emna Achour, elle, croit que la résistance fera toujours partie de son parcours, justement. « J’espère qu’il n’y aura pas toujours des backlashes, mais je pense que ma carrière risque d’être faite de cela : résister. Être la voix fatigante qui rappelle qu’on peut “booker” des femmes sur les shows. Il y en a ! »
Noémie Leduc-Roy revient sur le nom de l’événement. « C’est un jeu de mots sur le fait que les femmes se font tout le temps traiter d’hystériques, mais ça permet aussi de se dire que, des fois, il vaut mieux en rire. Des fois, on a le goût de pleurer, mais on va rire. »
Le festival offrira une expérience unique, une parenthèse en dehors du temps pour celles et ceux qui s’inquiètent de l’influence croissante des « mâles sigma » et autres stéréotypes masculins. « Juste après l’élection de Trump, on enregistrait un épisode de mon balado Farouches, se souvient Emna Achour. Manon Massé faisait partie des invités et les gens dans la salle [Farouches est enregistré devant public] étaient en transe. C’est un balado d’humour, mais tout le monde pleurait. D’autant plus que Manon, elle fait partie de ces féministes de longue date qui en ont vu d’autres. On est des humoristes. On ne guérit pas des cancers. Mais ces espaces-là permettent de dédramatiser, de se fâcher ensemble, de défaire des tabous. Être ensemble. »
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