D’entrée de jeu, dans votre essai, vous distinguez le désir du besoin. Quelle est la différence entre les deux ?
Le besoin, qui est de nature physiologique, est ce que nous avons en commun avec les animaux. Le désir, pour sa part, comporte une part inconsciente reliée aux émotions, à l’imagination, au fantasme. Il a aussi un caractère infini, qui nous rend perpétuellement insatisfaits. Le désir est le moteur de notre existence.
Le cerveau humain est programmé pour vouloir toujours plus de nourriture, de sexe ou de reconnaissance sociale, et ce, le plus vite possible. Les grandes entreprises l’ont bien compris, et en tirent profit en créant de nouvelles sources de désir. Cette logique consumériste a des conséquences désastreuses sur l’environnement et les écosystèmes. Est-ce possible de se sortir de ce cercle vicieux ?
Nous sommes mus par une tonne de désirs dont nous n’avons pas conscience et dont l’accomplissement ne nous rend pas réellement heureux. Pour atteindre le bonheur, il faut savoir cultiver des désirs plus personnels, qui correspondent à notre nature singulière et qui sont davantage tournés vers l’être que vers l’avoir. Ça implique de se reconnecter à soi-même et de trouver ce qui nous procure de la joie. Il y a trois façons d’y arriver : reprendre contact avec la nature, cultiver notre créativité et nourrir les liens qui nous unissent aux autres.
Cette culture de l’être plutôt que de l’avoir est aussi à l’œuvre dans la construction d’un couple équilibré. Quelle est la clé du bonheur amoureux, selon vous ?
Il s’agit de trouver un équilibre entre les trois dimensions du désir amoureux. Le désir de posséder, éros en grec, crée la passion amoureuse, l’attirance sexuelle et permet de démarrer la relation. Le désir de partager, philia, fait référence à l’amitié, la complicité, le bonheur de faire des choses ensemble et de bâtir des projets communs. Enfin, le désir altruiste, agapè ou amour-don, est atteint lorsque le bonheur de l’autre est ce qui nous rend heureux. Cette troisième dimension sublime la passion amoureuse, la transfigure. Lorsque ces trois éléments sont réunis, on a affaire à une relation durable, et formidable.
Vous écrivez ceci : « Pour mener une existence juste et bonne, nous devons mettre de la conscience sur nos désirs. Tel est sans doute le plus grand défi de notre époque. » Que voulez-vous dire par là ?
Avec les réseaux sociaux, nous sommes enfermés dans des bulles de certitude dans lesquelles tout le monde pense la même chose. On ne remet plus nos propres biais, nos envies, nos aspirations en question. Il n’y a plus de place pour le débat pluraliste qui est le fondement de la démocratie. Il faut absolument diversifier nos sources d’information, remettre en question ce qui constitue pour nous la vérité, entendre des gens qui ne pensent pas comme nous. Pour se faire, il faut entretenir la soif de vérité. C’est la seule façon de comprendre d’où viennent nos désirs, qui les manipulent, et comment les orienter pour la survie de nos sociétés.
Frédéric Lenoir sera à Montréal du 21 au 28 janvier 2023.
Cultiver le désir et vivre aux éclats, de Frédéric Lenoir, Flammarion Québec, 240 pages, 27,95 $
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