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Romancier, poète, essayiste, traducteur, éditeur et intellectuel francomanitobain, J.R. Léveillé offre au lectorat un regard d’une rare intensité qui nourrit une expression artistique hors norme puisqu’en perpétuel mouvement. Fort d’une carrière de plus de cinquante ans consacrée à
la défense, à l’enseignement et à l’enrichissement de la culture francomanitobaine, il est un témoin privilégié de l’évolution et de la vitalité de cette littérature qui trouve ses racines à même l’immensité de son territoire et la diversité de ses habitants.
Vous avez dirigé l’anthologie Poésie franco-ouestienne 1974-2024, une œuvre qui marque non seulement le 50e anniversaire des Éditions du Blé, mais offre également aux lecteurs un panorama complet de la poésie francophone de l’Ouest canadien, s’étendant du Manitoba à l’Alberta, en passant par la Colombie-Britannique, le Nunavut, la Saskatchewan et les Territoires du Nord-Ouest. À travers cette anthologie, comment définiriez-vous l’identité de la poésie francoouestienne et ce qui, selon vous, la distingue du reste du corpus franco-canadien?
Nous avons regroupé ces provinces et territoires pour des raisons de censure. C’est que la distance qui les sépare des centres de l’Est censure la réception de leurs œuvres. Il n’y a pas plus une poésie franco-ouestienne qu’il y a une poésie franco-estienne. Elle est aussi riche, variée et surprenante. On pourra évoquer l’étendue du paysage pour souligner une géographie marquante, mais les territoires du Grand Nord sont autrement accidentés que les plaines centrales. On peut remarquer que certaines voix se sont établies sur les traces de la résistance métisse, tout en soulignant que la poésie colombienne est particulièrement
marquée par une francophonie internationale. Cette poésie est sujette à un métissage des cultures, à l’accent des voix, à une médiatisation américaine et à une hybridité des formes d’expression. Nous avons cherché avant tout à donner une visibilité à cette singularité plurielle qui, dans ses manifestations, s’engage, comme toute poésie, dans le fondement même de la parole.
Vous êtes auteur de plus d’une trentaine d’œuvres, poète, romancier et essayiste, et votre voix évolue et se déploie à travers une œuvre résolument multiforme. Quelles thématiques essentielles traversent vos créations, et en quoi le fait d’explorer différents genres vous permet-il d’approfondir et de renouveler ces mêmes thèmes?
J’ai toujours pratiqué, sans doute en raison de ma formation classique, une écriture réfléchie au sens où l’entendait Rimbaud : « la pensée chantée et comprise du chanteur ». Les étiquettes servent à souligner une direction, une tonalité, mais je peux m’en passer. Il s’agit de laisser parler la construction même de l’instrument tout autant que la composition des harmonies et des mélodies qui s’en dégagent. Cette interférence est génératrice, renouvelable, toujours nouvelle et source d’elle-même. Il en résulte un plaisir de l’écriture et une écriture du plaisir, une spiritualité et un érotisme de la composition.
Ancrées dans le territoire de l’Ouest canadien, certaines de vos œuvres, telles que Sûtra (Éditions du Blé) ou Poème Pierre Prière (Éditions du Blé), s’inspirent de la philosophie zen. Comment cette fusion de pensées et de philosophies, entre Orient et Occident, nourrit-elle votre processus créatif?
Adolescent, je me suis intéressé à la philosophie présocratique. Je suis un adepte du clinamen d’Épicure. Le taoïsme, le zen se sont accrochés à moi de nature. Il y a une ressemblance entre ces deux formes de pensée qui nous mettent en présence du grand Vide, donc de l’immédiat. Cette métaphysique est aussi une physique, une appréciation de la nature, du moment présent, je dirais presque une suavité. Il en résulte un dégagement absolu dans l’écriture.
En 2019, les Éditions du Blé ont lancé la collection « Nouvelle Rouge », un espace dédié aux nouvelles voix de la littérature francophone de l’Ouest canadien.
En tant que directeur de cette collection, pourriez-vous nous donner un aperçu de l’avenir de la littérature franco-ouestienne?
Comme pour Poésie franco-ouestienne, cet avenir sera varié et variable, mais il reste à être défini par ses productions. La jeunesse s’est beaucoup engagée dans la musique, le théâtre et les arts visuels, car le rapport direct avec la langue a pu être intimidant. La collection veut permettre à une nouvelle génération de s’engager sur ce terrain et d’imaginer ses propres formes, avec « permission accordée d’échapper au style ». À ce jour, nous avons publié de la poésie et du théâtre, d’une poésie métaphysique à une poésie lyrique, du théâtre queer, autobiographique, langagier. La collection est ouverte à la découverte.
©Photo : C. Gosselin