Janette, une héroïne québécoise racontée au théâtre

Raconter les 100 ans de vie de Janette Bertrand et sa contribution à l’histoire du Québec afin de les transmettre à la jeune génération, c’est l’ambition qui a animé la dramaturge Rébecca Déraspe dans l’écriture de Janette. Cette pièce, qui prend l’affiche mercredi au Théâtre Jean-Duceppe, est portée sur scène par Guylaine Tremblay, qui incarne Janette Bertrand.

Janette Bertrand fait partie de mon histoire, de celle de ma mère, de celle de ma fille, affirme Rébecca Déraspe. Elle a énormément fait pour les femmes au Québec.

Ce qui me faisait le plus plaisir, c’était de m’imaginer à la première de la pièce avec ma fille pour qu’elle puisse prendre conscience de qui est Janette Bertrand, poursuit-elle. C’est […] ce qui m’a fait dire oui, avec un grand bonheur, à Jean-Simon Traversy [le codirecteur artistique du Théâtre Jean-Duceppe].

Une anecdote comme point de départ

Par où commencer pour raconter 100 ans de féminisme, de lutte contre les injustices, d’écriture, d’animation à la radio et à la télévision, de vie familiale et amoureuse? Rébecca Déraspe et Jean-Simon Traversy se sont longuement entretenus à plusieurs reprises avec Janette Bertrand, et c’est une anecdote contée par la désormais centenaire qui a permis à la dramaturge de trouver une porte d’entrée.

Un jour, elle est allée dans une boucherie dans la campagne québécoise et la bouchère a crié : Mon Dieu, c’est Janette Bertrand! en la voyant. Puis, elle est allée chercher son adolescente, qui ignorait qui était la femme qui se tenait debout devant elle.

Je me suis dit : “Quel beau point de départ pour raconter l’histoire de Mme Bertrand”, se souvient Rébecca Déraspe.

La transmission ne se fait pas nécessairement. On ne raconte pas nécessairement à nos enfants nos héros et héroïnes, constate-t-elle.

Guylaine, c’est mon double

C’est donc Guylaine Tremblay qui incarne Janette Bertrand sur scène, pour le plus grand plaisir de cette dernière.

Guylaine est tellement moi, c’est mon double.

Elle a tous mes petits défauts, toutes mes manies, ajoute-t-elle. Elle est vraiment merveilleuse. Quelle actrice extraordinaire!

Pour se glisser dans sa peau, Guylaine Tremblay est notamment partie de l’appétit de vivre de la nouvelle centenaire. Ce n’est pas comme quand j’imite quelqu’un au Bye bye, explique-t-elle. J’ai créé ma Janette avec ce que je connais et que j’aime de sa vivacité, de son amour des gens, de sa passion, de son empathie et de sa curiosité insatiable de l’autre.

Sur scène, Guylaine Tremblay est entourée de plusieurs comédiens, dont Normand Chouinard, Cynthia Wu-Maheux, Phara Thibault et Zoé Lajeunesse-Guy, qui est la petite-fille de Janette Bertrand.

Un menu cinq services

Janette Bertrand étant notamment une autrice culinaire avec ses Recettes de Janette qui en sont à leur troisième édition, la pièce a été divisée en cinq services, tel un menu servi dans un restaurant.

D’ailleurs, la grande majorité des 35 représentations de Janette sont proposées en formule repas-spectacle. Clin d’œil à l’émission Parler pour parler, cette option permet à 24 spectateurs de déguster, sur scène, un repas composé de plats choisis par Janette Bertrand parmi Les recettes de Janette et servis par les comédiens.

Pour commencer, l’entrée froide de la pièce replonge le public dans l’enfance de Janette Bertrand, une période entre autres marquée par le manque d’amour maternel. Un amour qu’elle a cherché toute sa vie afin de combler ce vide.

Puis, l’entrée chaude est consacrée à la famille qu’a créée Janette Bertrand et qui s’étale aujourd’hui sur quatre générations. Tu sens que c’est sa courtepointe préférée, dit Guylaine Tremblay. C’est avec ça qu’elle s’enveloppe, qu’elle se rassure.

Elle a déniaisé le Québec

Le plat principal du spectacle se concentre sur toute la vie publique de Janette Bertrand : son combat contre les inégalités hommes-femmes, les nombreux tabous brisés, dont celui sur l’homosexualité qui a aidé des personnes à sortir du placard…

Ce qui me touche le plus, c’est l’espace de discussion et de dialogue qu’elle a ouvert dans les familles québécoises, ajoute Rébecca Déraspe. Elle a permis aux gens d’exprimer leur vulnérabilité.

En 1986, parler [à la télévision] de personne transgenre, de violence conjugale, de mère porteuse, de sida, c’était incroyable. Elle a déniaisé le Québec au grand complet! blague Guylaine Tremblay, qui estime qu’on ne remerciera jamais assez Janette Bertrand.

Née en 1960, la comédienne la considère comme sa… professeur préférée. On a été élevés par elle quelque part. Elle a donné les mots et les outils nécessaires à ma mère et à ma grand-mère pour que moi, j’en profite, précise-t-elle, soulignant le silence qui entourait des sujets comme les émotions ou le fonctionnement du corps à l’époque.

Au-delà du travail accompli par Janette Bertrand, il s’agit aussi de souligner la façon dont elle a fait avancer ses idées.

Cette femme a poursuivi des luttes avec ferveur et beaucoup de persévérance, mais sans agressivité. Elle a toujours essayé de comprendre avant de juger. C’est ce que j’admire le plus de Janette.

L’amour comme boussole

Au dessert, c’est l’amour qui est au centre de l’assiette, mais aussi de la vie de Janette Bertrand. [Elle] dit une phrase merveilleuse dans la pièce : “L’amour a toujours été ma boussole la plus fiable”, explique-t-elle. Elle n’est pas bâtie pour la haine et la confrontation, [mais] pour l’amour, ce qui t’accueille et rassemble.

De son côté, Rébecca Déraspe met en avant l’amour profond de l’humain, de nos laideurs, de nos beautés, de nos zones d’ombre qui guide Janette Bertrand.

J’ai l’impression qu’il n’y a pas de problème pour elle à regarder quelqu’un dans les yeux avec ce que c’est être en vie. Et ça, c’est magnifique!

Cette dernière portion de la pièce revient sur les amours de Janette Bertrand, et notamment sur le couple qu’elle forme depuis plus de 40 ans avec Donald Janson, un homme près de 20 ans plus jeune qu’elle. Encore un autre tabou brisé! souligne Guylaine Tremblay.

Janette Bertrand ravie du résultat

Que dit la principale intéressée de la pièce qui porte son prénom? De voir Guylaine Tremblay me jouer vieille, ce n’est pas donné à tout le monde. Je me trouve chanceuse.

C’est peut-être la meilleure pièce que j’aie vue depuis que je suis née, et j’ai 100 ans!

Il faut dire que Janette Bertrand connaît bien le théâtre, puisqu’elle va voir des pièces depuis qu’elle est jeune. Elle a également partagé la vie du comédien Jean Lajeunesse pendant 34 ans. J’ai assisté à la naissance du Théâtre du Nouveau Monde, de Chez Duceppe, ajoute-t-elle.

La pièce Janette est présentée du 9 avril au 17 mai au Théâtre Jean-Duceppe, à Montréal. Selon la compagnie théâtrale, plus de 20 000 places ont déjà été vendues.