Ils s’aimaient d’un amour profond, résistant aux absences, aux empêchements, au mariage de l’un, aux déceptions de l’autre. Ils s’aimaient par lettres, des missives abondantes et intenses, qui, à l’époque, s’envolaient, sur papier, vers l’être aimé, comblant son éclipse par des mots, dont l’un comme l’autre étaient tout aussi amoureux.
La correspondance d’Albert Camus et de Maria Casarès était destinée à rester secrète. À la mort de Camus, elle a été remise discrètement à René Char, qui l’a finalement remise à Maria Casarès, qui l’a vendue, dit-on à Catherine Camus. Ce n’est qu’après la mort de Camus et de Casarès, et après celle de l’épouse légitime d’Albert Camus, Francine Faure, que leur fille, Catherine Camus, s’est décidée à les faire publier chez Gallimard en 2017.
Ces lettres, Dany Boudreault, amateur de correspondance, les a dévorées, dans la solitude du confinement de la pandémie. Il en a fait surgir du théâtre, la pièce Je t’écris au milieu d’un bel orage, mise en scène par Maxime Carbonneau, avec Anne Dorval en Maria Casarès et Steve Gagnon en Albert Camus. La pièce prend l’affiche au TNM mardi.
De l’érotisme en mots
« On quitte les lettres », dit Dany Boudreault, ajoutant que 40 % du spectacle est constitué d’extraits d’entrevues et de pièces de théâtre, et même du discours de réception du prix Nobel par Albert Camus en 1957. Sur scène, les corps se rapprocheront, se toucheront, incarnant l’érotisme que les deux icônes ont si bien su dire en mots. « Camus fait l’amour en écrivant », dit Steve Gagnon. « Il est attiré par son intelligence, son ardeur, sa fougue et sa colère. » Casarès, de son côté, « veut plaire » à Albert Camus, rappelle Anne Dorval. Et c’est pour lui plaire qu’elle, qui est espagnole, soignera le français de ses lettres.
C’est vers la fin de la guerre, en 1944, qu’Albert Camus et Maria Casarès se rencontrent chez Michel Leiris. Mais Casarès, gênée par le fait que Camus était marié, s’éloignera de lui pendant quatre ans, avant de le retrouver, par hasard, dans les rues de Paris. S’ensuivra une relation passionnée, souvent épistolaire, qui durera jusqu’à ce jour du 4 janvier 1960 où Camus trouve la mort dans un accident de voiture. Il avait alors pris la décision de quitter sa femme, et demandait à Casarès de le rejoindre à Paris. « Dernière lettre. Juste pour te dire que j’arrive », lui écrivait-il, le 30 décembre 1959, cinq jours avant de mourir.
Je t’écris au milieu d’un bel orage débute avec une interview accordée par Maria Casarès à la fin de sa vie, alors qu’elle révèle la liaison qu’elle a eue avec Albert Camus. S’ensuit une série de flashbacks, à travers lesquels cette relation passionnée s’incarne, à travers différentes époques, de la Résistance française à la guerre d’Algérie et à l’existentialisme. « L’entrevue est un portail » à différentes époques, dit Dany Boudreault. Pour monter cette pièce, il a dû choisir parmi les 865 missives que Casarès et Camus ont échangées de leur vivant.
Jouer Albert Camus sur scène aurait pu être un pari intimidant pour Steve Gagnon. Mais c’est sans doute l’authenticité dévoilée par l’écrivain dans ses lettres qui lui a rendu la tâche plus facile. Plutôt qu’un monument, c’est un homme qu’il incarne, avec ses passions, ses doutes, ses maladresses et son désarroi, la tuberculose qui le ronge aussi.
La quête de nouvelles expériences
Anne Dorval, dont c’est un retour sur les planches brûlantes du théâtre, voit dans Maria Casarès son opposé. « J’ai vu une vidéo dans laquelle elle raconte qu’elle ne veut plus faire du cinéma », dit celle qui, de son côté, n’a pas joué au théâtre depuis plus d’une décennie. Casarès, pourtant, s’était illustrée au grand écran, notamment dans Les enfants du paradis, et Orphée.
Chacun de leur côté, les amoureux vivent intensément et voyagent beaucoup. Ils s’admirent mutuellement pour cette vie professionnelle qui les nourrit et les éloigne en même temps. Dany Boudreault dit avoir aimé, à travers les échanges qu’il a choisis, pouvoir montrer l’envers du travail d’une artiste et d’un écrivain, les délais qui pressent, les doutes, les risques à prendre. Alors qu’Albert Camus atteint le zénith avec le prix Nobel de 1957, Maria Casarès est à son sommet lorsqu’elle joue à la Comédie-Française, et avec le Théâtre national populaire.
« Mais c’est une femme qui prend constamment des risques », dit Anne Dorval. Toujours en quête de nouvelles expériences, toujours insatisfaite. Alors qu’elle aurait eu cent ans en novembre dernier, Casarès, qui a joué de son temps Marie Tudor à Montréal, n’a pas fini de faire parler d’elle.
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