L’auteur jeune trentenaire Kevin Lambert a rejoint les grands de la littérature francophone. Il est notre Personnalité de l’année 2023, catégorie « Culture ».
Kevin Lambert s’est taillé une place parmi les grands de la littérature francophone cette année. Son troisième roman, Que notre joie demeure, a été récompensé en France par le prestigieux prix Médicis, ainsi que par le prix Décembre. Au-delà des honneurs, sa participation soutenue au débat public a fait de l’auteur de 31 ans la nouvelle figure médiatique littéraire du Québec.
Remarqué dès la parution de son premier roman, Tu aimeras ce que tu as tué (Héliotrope), en 2017, l’écrivain jeannois bâtit depuis ses débuts une oeuvre qui interroge les rapports sociaux et dissèque les violences et les injustices sans jamais en perdre de vue la genèse et le fonctionnement.
Que notre joie demeure, publié en 2022 chez Héliotrope, évoque le déclin d’une architecte montréalaise de renommée mondiale, pointée du doigt pour sa contribution à l’embourgeoisement et à la crise du logement. Avec son phrasé ample qui fait alterner les voix dans un rythme envoûtant, le roman se veut aussi un hommage à Marie-Claire Blais, première Québécoise à remporter le prix Médicis en 1966.
En choisissant d’adopter le point de vue de la classe dominante, Kevin Lambert décortique le récit intérieur que se racontent les privilégiés pour justifier leur état, ainsi que les contradictions qu’il sous-tend. En évitant avec adresse le piège du manichéisme, l’auteur propose une réflexion assez dense pour permettre à tous les côtés de se reconnaître et de projeter leur propre interprétation des événements.
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Polémiques
Ironiquement, ce sens de la nuance a mené l’écrivain à une première polémique médiatique, l’été dernier, lorsque le premier ministre du Québec François Legault a fait une recension positive du livre sur sa page Facebook, résumant le tout en ces mots : « Une architecte de renommée internationale se fait accuser de gentrification des quartiers. Critique nuancée de la bourgeoisie québécoise. Des groupes de pression et des journalistes cherchent des boucs émissaires à la crise du logement à Montréal. »
Choqué par cette interprétation unilatérale de son roman, Kevin Lambert a répliqué : « Lire, si on ne tire rien de ce qu’on lit, ne sert pas à grand-chose. […] Pas besoin de “chercher des boucs émissaires à la crise du logement” […] Vous n’êtes pas des boucs émissaires, vous êtes des gens en situation de pouvoir qui pourraient faire quelque chose et qui ne font rien. Il y a un mot pour ça : responsables. »
Cette escarmouche a rapidement permis d’orienter le regard du public québécois vers l’écrivain. En choisissant de se positionner politiquement et de défendre sa vision de la littérature, ce dernier a affirmé sa pertinence médiatique, s’inscrivant dans l’héritage de Victor-Lévy Beaulieu et de Dany Laferrière, entre autres.
Quelques mois plus tard, à peine atterri outre-Atlantique pour accompagner son livre sélectionné sur la première liste du Goncourt, Kevin Lambert s’est retrouvé au coeur d’une nouvelle polémique lorsque son éditeur a révélé qu’il avait retenu les services d’une lectrice sensible canado-haïtienne pour valider la crédibilité d’un personnage.
Kevin Lambert a dû multiplier les apparitions médiatiques pour justifier son recours à cette pratique associée par plusieurs en France à un exercice de censure. Sur toutes les tribunes, il a défendu son point de vue avec une intelligence et un panache qui n’ont, à tout le moins, aucunement amoindri la valeur de son oeuvre aux yeux des grands jurys littéraires.
Avec les prix Médicis et Décembre — dont il est le plus jeune lauréat de l’histoire — en poche, l’écrivain de 31 ans a tous les regards tournés vers lui. Cette semaine, le magazine Libération le désignait à juste titre comme « l’une des sensations littéraires de l’année ». S’il n’hésite pas à entrer dans le jeu, c’est pour parler de littérature, et de littérature seulement, dénouant pour le grand public les ficelles du processus créatif, de l’analyse et de la filiation littéraire, et réitérant la pertinence de la parole et de la pensée de l’écrivain.
« Ce que Kevin Lambert est en train de dire, par sa manière médiatique, c’est qu’on peut être un intellectuel, savoir ce qu’on fait, vouloir le faire, bien le définir, le définir en profondeur, sans perdre pour autant l’attention et la pertinence médiatiques qu’on veut avoir », affirmait au Devoir en novembre le professeur de littérature à l’Université du Québec à Trois-Rivières David Bélanger, qui s’intéresse depuis des années à la figure de l’écrivain médiatique.
2023 est beaucoup plus que l’année de la consécration pour Kevin Lambert. Dans l’oeil du public, il incarne désormais le renouveau de la littérature québécoise, porté par une génération qui n’a pas peur de bousculer les conventions, de proposer de nouveaux paradigmes de pensée, et ce, sans jamais perdre de vue le travail des grands qui l’ont précédée.
Les finalistes : le couple Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault ainsi que Stéphan Bureau
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