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La capitale des rêves | L’infinie foi en l’art de Heather O’Neill

Paru en premier sur (source): journal La Presse

croit profondément qu’un livre peut changer le monde, parce que des livres ont déjà changé le sien. L’étoile de la littérature montréalaise fait paraître en traduction La capitale des rêves, un roman de guerre dans lequel une écrivaine confie à sa fille la mission de transporter un manuscrit en lieu sûr, afin que la planète sache les horreurs que vivent les habitants de l’Élysée, pays fictif de l’Europe de l’Est. Morceaux choisis d’un entretien tenu en français dans le décor joliment suranné de son appartement.


Publié à 9 h 00

J’ai beaucoup ri quand, au début du roman, l’écrivaine Clara Bottom répond à sa fille, qui s’offusque que sa mère se soucie davantage de son écriture que d’elle, « bien sûr que ce livre est plus important que toi ».

Je suis née ici à , mais je suis partie pas longtemps après avec ma mère vivre en Virginie, dans le sud des États-Unis. Quand j’ai eu 7 ans, ma mère a voulu être une artiste, elle m’a renvoyée à Montréal, chez mon père. Et je ne l’ai plus vraiment revue. Dans tous mes romans, avant, il n’y avait jamais de figure maternelle. Quand j’ai soumis le manuscrit de Hôtel Lonely Hearts [2018], mon éditrice m’a dit : “Encore des enfants sans mère !”

Cette fois-ci, j’ai voulu créer une mère, mais une mère narcissique, avec un immense ego, énervante, épouvantable, qui pense toujours à l’art. Quand je l’ai fait lire à Arizona [sa fille, qui signe l’illustration de la couverture], elle m’a dit : “Oh, mais Clara Bottom, c’est toi !” J’étais comme : “Quoi ?” [rires] Je comprends ce qu’elle voulait dire. Clara Bottom, c’est comme mon « evil avatar ». Et c’est vrai : il faut être un peu narcissique pour passer la journée avec ses pensées.

Tu as eu Arizona à 20 ans. C’était comment de concilier tes ambitions artistiques et ta vie de mère seule ?

J’ai traité Arizona un peu comme mon assistante [rires]. Chaque jour, on allait à la bibliothèque, je travaillais sur mon roman, pendant qu’elle, elle dessinait. Je lui disais : “Il faut que j’écrive ce roman [La ballade de ], sinon, on va passer toute notre vie dans la pauvreté.”

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Heather O’Neill (à droite) avec sa fille Arizona en décembre 2022

On répète qu’il faut mettre les enfants en premier, mais moi, je lui disais toujours : “Ce n’est pas toi en premier, on est égales ici. On fait une activité pour toi, une activité pour moi.” Donc dans la journée, on allait peut-être au parc, et après, on allait voir une pièce de Samuel Beckett, même si elle avait 9 ou 10 ans.

La capitale des rêves t’a été en partie inspiré par l’expérience de ton père au front. Mais tu me sembles un peu jeune [53 ans] pour que ton père ait fait la Seconde Guerre mondiale.

Mes parents formaient un couple ridicule. Ma mère avait 19 ans, elle est venue à Montréal parce que Montréal était cool. Elle traînait sur la montagne et elle est tombée sous le charme de mon père, qui devait déjà avoir 45 ans. C’était un ancien gangster et elle était attirée par son charisme. C’était avant qu’elle se rende compte qu’il était violent.

Mon père est né sur l’avenue Coloniale, le plus jeune de neuf enfants. Pendant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs de ses frères sont allés au front en et un de ses frères lui a envoyé une lettre qui disait que toutes les tombaient en amour avec les Canadiens. Il s’est fait faire un faux certificat de naissance et il est parti pour la guerre, à 14 ans.

Chaque fois qu’il m’en parlait, c’était comme un conte de fées. Il y avait une histoire en particulier avec une oie qui le suivait partout, ce qui était très gênant, parce que tous les autres soldats se moquaient de lui, mais il ne pouvait rien faire, parce que l’oie était en amour avec lui.

Je comprends mieux maintenant d’où vient l’oie qui parle dans La capitale des rêves. Comment décrirais-tu ta relation avec le  ?

Pour moi, c’est une extension de la métaphore. C’est une façon de décrire certaines réalités, mais avec de la magie. Surtout quand il s’agit de personnages enfants. La ligne entre la réalité et la non-réalité n’existe pas chez eux. Les enfants vivent dans un monde de fiction.

Est-ce que tu t’es basée sur une guerre en particulier pour élaborer le pays fictif de l’Élysée ?

J’ai étudié plusieurs guerres et ce qu’elles ont en commun, c’est qu’un mouvement génocidaire commence presque toujours en tuant les artistes et les écrivains, qui sont les témoins d’une société. Si tu détruis les artistes, tu n’as plus de témoins, plus de culture.

Mon voyage en Cisjordanie en 2023 avec Yara El-Ghadban [écrivaine montréalaise d’origine palestinienne] a aussi changé l’ADN du livre. On a rencontré plein d’artistes qui déploient des efforts fous pour conserver leur culture, pour montrer qu’ils ne sont pas que des victimes et qui pensent, comme le grand poète Mahmoud Darwich, que l’existence même de la palestiennene est la preuve qu’il sera impossible d’effacer complètement leur identité.

Clara Bottom croit qu’un livre peut changer le monde. Est-ce qu’il y a des livres qui ont changé ta vie ?

[Heather se lève et revient avec une pile de vieux albums élimés.]

Quand ma mère m’a envoyé vivre avec mon père, mon père n’avait pas d’emploi, on avait toujours un pied dans la rue, il était encore parfois violent. Mais j’avais ces livres [The Golden Treasury of Poetry, The Treasury of Children’s Literature, Book of Nursery and Mother Goose Rhymes].

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Heather O’Neill

Quand je suis arrivée à Montréal, c’est tout ce que j’avais, je n’avais même pas de vêtements. Heureusement que mon père avait appris à utiliser une machine à coudre en prison. Il a pu m’en faire.

Est-ce que tu écris des romans pour les mêmes raisons qu’à tes débuts ?

J’écris toujours dans l’espoir d’arriver à ce moment où un personnage devient vivant. Ça prend parfois des années. Mais quand soudainement un personnage devient plus vivant que les vrais gens de la vraie vie, c’est un plaisir profond. Le monde de la littérature pour moi est plus réel que la vraie vie, où j’ai souvent l’impression de vivre une fiction.

La capitale des rêves

La capitale des rêves

Heather O’Neill (traduit de l’anglais par )

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400 pages

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Dans cet article

Heather O’Neill (traduit de l’anglais par Dominique Fortier) La capitale des rêves

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