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« Où sommes-nous ? », me demandera-t-on. Heureux l’écrivain vagabond qui peut répondre, qui eut le droit de répondre : « Que vous importe, nous sommes loin. » Ces mots de Bernanos, tirés d’une lettre de mars 1927, donnent au mieux les règles du jeu. Pour l’écrivain voué à l’ailleurs, le problème n’est pas d’être quelque part, « loin de », sous la dépendance d’une provenance, mais au cœur d’un éloignement radical, hôte d’un lieu autre qui le déboussole. Une impression qui hante, mot après mot, Les Saisons (1965), de l’écrivain et novelliste Maurice Pons (1927-2016), livre phare pour les amateurs d’égarement dont Bourgois a fait la tête de série de sa nouvelle et excellente collection de poche, « Satellites ».
Récit de voyage méticuleux, conte grotesque, voire obscène, méditation sur l’écriture, modèle d’anthropologie burlesque, le périple de l’écrivain Siméon, arrivé en sandales, riche d’un havresac bourré de plusieurs rames d’un précieux papier blanc, nous mène dans un hors-lieu où ne subsistent que deux saisons, la pluvieuse et celle des grands gels bleus, angle mort du monde où seules les lentilles consentent à pousser pour nourrir une population taciturne, défiante et tracassière, violente et de mœurs absurdes. Pourtant le cadre ne mobilise que les ingrédients concrets d’un récit paysan traditionnel – aubergiste, douaniers, rebouteux. Tout le génie de Pons réside dans la mise en scène, la folie carnavalesque des rites communautaires (uriner en masse sur un monument conçu à cet usage), le comportement individuel imprévisible, la vie d’une société conditionnée par les aléas d’un climat singulier. Un classique du folklore imaginaire, aux côtés de Voyage en Grande Garabagne (1936) et d’Au pays de la magie (1941), d’Henri Michaux.
Un périple proche, entre merveilles et angoisse, est réservé à ceux qui s’aventurent dans le Bois-aux-Renards conçu par Antoine Chainas. Un monde à part, préservé, qui héberge un peuple secret, resté fidèle à la nature brute et aux sources mythologiques. Mais, à la différence des Saisons, de sa paysannerie atopique et de son randonneur intrépide, nous voici en compagnie d’un auteur de romans noirs (dont Pur, Grand Prix de littérature policière 2014) et de deux petites poucettes : l’équipée de Chloé et Anna sert de fil rouge au roman. L’une étant orpheline (un accident de voiture a rayé sa famille de la carte), l’autre condamnée à l’errance par une mère nomade, toutes deux sont vouées à de périlleuses aventures. Chloé est recueillie par une guérisseuse et un mystérieux trio, quand Anna échappe à la folie meurtrière d’un couple de serial killers. Entre Pons et Chainas, l’accès à des univers parallèles et « enchantés » mêle deux mondes différents : là où le premier distord par l’absurde et le bizarre le discours ethnologique, le deuxième réenchante la fureur du thriller par le recours à la rêverie du conte.
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