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« Collez votre oreille au délicat coquillage de l’oreille pour écouter le bruit que fait une âme toujours agitée », écrivait de Rachilde, en 1894, son ami Jules Renard. La Périgourdine Marguerite Eymery (1860-1953), nom de guerre Rachilde (Rachel + Mathilde), romancière, journaliste et salonnière des célèbres « Mardis », muse d’Alfred Vallette, coanima avec ce dernier, à partir de 1890, un Mercure de France devenu l’œil foudroyant et velouté du cyclone littéraire de la fin de siècle. Elle fut, pour sa part, une âme sans dimanche après-midi.
Jugeons-en : après avoir, en 1884, à 24 ans, fait scandale avec Monsieur Vénus, où une aristocrate hors genre et hors norme, Raoule de Vénérande, vraie sœur de Des Esseintes, dispose d’un jeune fleuriste en chambre pour en faire un objet érotique développant à outrance sa part de féminité, elle obtient du préfet de police, en 1885, le droit inouï de porter le pantalon. Impérieuse, riche d’une aura de scandale qu’elle porte au mieux, elle œuvre, en 1896, pour la création d’Ubu roi, d’Alfred Jarry, et de la Salomé d’un Wilde exilé à Paris. Paru en 1899 au Mercure de France, La Tour d’amour constitue un de ses plus beaux coups de boutoir romanesque. Inspiré par le phare d’Ar-Men (« le roc », en breton), mis en service en 1881 à la pointe occidentale de la chaussée de l’île de Sein, le roman nous incarcère au cœur de ce totem minéral aux allures de « mât de navire sombrant », incessamment flagellé par l’océan, en compagnie d’un sidérant Mathurin Barnabas, ermite-gardien à la voix de femme, être compact et chantonnant, et de Jean Maleux, marin fixé là après un temps d’errance au Levant.
Si la vie au quotidien sur cette vigie des enfers océaniques, entre soin du feu, attention aux naufrages et combat rapproché avec l’océan, reste la dimension principale du récit, l’autre élément essentiel s’avère la sexualité. Si l’un, Maleux, tente de résoudre classiquement, par le mariage, son problème d’isolement, l’autre, Barnabas, règle la question par un biais nécrophilique. Un chef-d’œuvre littéraire, entre réalisme, symbolisme érotique et réflexion poétique sur la guerre des genres.
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